samedi 28 octobre 2017

La complainte de la taupe


Je suis une taupe et ils me haïssent pour cela. C'est le nom qu'ils me donnent et dans leur méconnaissance, ils me vomissent. Ce que je sais d'eux leur fait peur et la peur que je leur inspirent les séquestrent. Du fond des geôles étroites de leur conscience, je les entends gémir. Chaque nuit, dès qu'ils sombrent dans la petite mort, j'avance péniblement et sans trêve dans les artères souterraines du monde. Au moment même où ils s'abandonnent paisiblement dans les bras précaires du sommeil, en quête d'un bref répit que leur prodiguent l'oubli, je sillonne silencieusement les arcanes de leurs âmes, et je vois. Je vois ce qu'ils dissimulent le jour.



Quand s'offre à moi le prélude nocturne, et juste avant que l'horizon ne ferme les yeux, je vois les cadavres qu'ils ont recouverts de terre et que les pluies de la révélation ultime raniment. Je vois toutes ces infamies qui les rattrapent et qu'ils tentent désespérément d'oublier. A travers les nuages de fumée que la folie suffocante des Hommes diffuse, je sens leur odeur et pour cela, ils me haïssent. Mais c'est pour autre chose qu'ils voudraient tous me voir sans vie, noyé une fois pour toutes dans les ténèbres de la mort. La peur d'y croiser leur âme, de l'apercevoir dans les vapeurs du soir leur fait craindre mon regard et c'est pourquoi ils se détournent de moi car il n'est qu'une chose que l'horreur craigne, c'est elle-même. 


Et s'ils finissent par me héler dans le silence glacé de la nuit, et me demandent, confus, ce que je veux, ce que j'attend d'eux, le silence assourdissant de ma paisible voix, porteuse d'écho fatal, finit méthodiquement par les disperser. Ils attendent une réponse mais ne posent pas les bonnes questions. Ils voudraient connaître la vérité quand celle-ci leur fait face et qu'ils lui tournent le dos. Leur sort est scellé : ils ne sauront rien car ils en sont incapables. Incapables de protéger ce qui fut en eux, d'accueillir la lumière qui leur était destinés. Dans leur fébrile impatience, ils me questionnent d'un questionnement si étrange et si lointain que ma réponse ne saurait plus atteindre leurs cœurs, ces cuirasses inflexibles, d'orgueil endurcies. Oui, je suis une taupe et ils me haïssent car je connais la racine des Hommes.  


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