mercredi 7 septembre 2016

Pourquoi la Fondation des œuvres de l'islam n'a pas d'avenir


La volonté de maintenir le lancement de la Fondation des œuvres de l'islam en l'état, malgré le déluge de critiques et les nombreux problèmes que soulève ce projet, illustre l'autisme dont fait preuve l'exécutif français sur la question de la gestion de l'islam de France. Ceci étant, il est plus qu'utile de rappeler, pour l'intérêt du débat citoyen, les nombreuses raisons qui tuent dans l’œuf l'éclosion de ce projet controversé. 

Une violation majeure du principe de laïcité
La raison la plus incontestable demeure la violation du principe de laïcité. La laïcité française impose à l’État et à ses représentants un strict devoir de neutralité religieuse. L’État ne reconnaît aucun culte, ne subventionne aucune religion, n'accorde aucun régime de préférence ou d’antipathie à l'encontre d'aucune croyance, profession de foi ou culte. Ces conditions sont juridiquement et politiquement obligatoires car elles seules garantissent la liberté de croyance des citoyens, elle-même gage du vivre-ensemble et de la paix civile. Tous ces éléments qui constituent la modalité d'application pratique de la laïcité volent en éclats avec l'actuel projet du gouvernement concernant la Fondation des œuvres de l'islam. Par ce projet, l’État français reconnaît le culte musulman et lui administre en même temps un traitement juridique inégalitaire en ne lui reconnaissant pas le droit à l'auto-gestion et à l'autonomie juridico-politique que lui garantissent pourtant la laïcité et l'égalité consacrées par la Constitution, à l'instar de toutes les croyances en France. 



De ce point de vue, il existe malheureusement une continuité historique de l’État français dont la doctrine à l'égard de la religion musulmane a toujours été, jusqu'à ce jour, le maintien d'une gestion coloniale, hier, néo-coloniale, aujourd'hui. Or, cette condition laïque de respect de la neutralité religieuse de l’État et de l'indépendance des cultes n'est pas négociable car elle relève d'un principe politique partagé par les citoyens de la République. Le violer ou le modifier, c'est modifier la nature politique du régime républicain. C'est tout simplement remettre en cause l'un des principes du droit public qui garantit les libertés françaises. En aucun cas, l’État ne peut remettre en cause les fondements politico-juridiques de la République sans créer des conséquences durables et profondes pour l'ensemble de la société française. Toute fuite en avant du pouvoir, en ce domaine, doit soulever les inquiétudes de l'ensemble des citoyens français.

Une nomination symboliquement humiliante
La nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de cette Fondation, ancien ministre de l'Intérieur et des Cultes du gouvernement Jospin, celui-là même qui avait joué les bons offices de l’État au moment de la création de l'istichara qui allait donner naissance plus tard au Conseil français du culte musulman et qui avait réclamé que les leaders communautaires musulmans signent un document d'allégeance à la République, attitude qui était déjà révélatrice d'une vision politique héritée d'un autre temps, en dit long pour sa part. 



D'abord sur les intentions du gouvernement de Manuel Valls dont l'hostilité personnelle à l'encontre de la seconde religion de France est à peine dissimulée et se donne à voir et à se faire savoir à chaque nouvelle polémique sur le voile, la laïcité, le burkini, etc. Imposer un non musulman, ancien premier flic de France à une communauté musulmane française qui n'en veut pas et qui, semble-t-il, n'a pas même le droit de choisir elle-même ses représentants, est tout bonnement une pratique politique archaïque, anachronique et d'une violence symbolique peu commune en 2016. 



Qu'on le sache dès à présent, quoi que feront Chevènement et ses auxiliaires du culte, quelle que soit leur injonction à la discrétion et à l'invisibilité publique, les musulmans de France le rejetteront. Chaque projet, chaque ambition, chaque œuvre de cette Fondation est et sera donc inéluctablement frappé du sceau infamant de l'illégitimité. 

Ne pas renouveler les erreurs du CFCM
Cette illégitimité n'est pas nouvelle : elle n'est que la dernière manifestation d'un paradigme autoritaire de la gestion étatique de l'islam, paradigme d'un autre âge et voué à l'échec comme le CFCM l'a déjà démontré. Institution créée par le ministère de l'Intérieur en accord et en coordination avec un certain nombre de consulats étrangers, le CFCM a totalement échoué dans son entreprise à mettre en place un culte musulman digne et répondant aux besoins des musulmans. Il n'a jamais su gagner ou regagner la confiance des fidèles dont il n'incarnait ni l'émanation, ni la représentativité et pour lesquels il manifestait et entretenait une indifférence pour ne pas dire un mépris constant. Cette crise larvée de légitimité a plongé le CFCM dans l'impasse au point où le ministère de l'Intérieur a jugé bon de relancer en 2015 le processus institutionnel de représentativité du culte musulman en l'ouvrant partiellement à d'autres acteurs, dans un contexte post-attentats. 














                                                                       
On peut douter néanmoins de la volonté, Place Beauvau, de ne jamais tolérer l'émergence d'un organe de représentation libre, indépendant du pouvoir et auto-géré. Les enjeux politiques et sécuritaires liés à l'islam semblant en effet parasiter en permanence la problématique de son organisation structurelle et cultuelle. Mais c'est précisément là l'une des erreurs majeures d'appréciation du gouvernement : persister à penser ou croire que le phénomène du passage à l'action terroriste sous l'étiquette de Daesh serait lié d'une manière ou d'une autre à l'institution musulmane, à travers ses lieux de culte, ses mosquées ou ses imams. D'Olivier Roy à Farhad Khosrokhavar, de Raphaël Liogier à Dounia Bouzar, aucune analyse, aucune enquête de terrain, aucune expertise n'est venue corroborer cette ligne du gouvernement. La quasi totalité des individus qui ont basculé dans le terrorisme étaient des primo-délinquants qui ont sombré dans la violence terroriste après un passage en prison pour des faits de braquage, d'agressions armées ou autres délits de même facture. 













Des individus en rupture psychologique avec la société et qui ont cherché dans le passage au terrorisme de Daesh le moyen de donner une pseudo-légitimité religieuse à leur désir de violence. Deux espaces sont privilégiés dans ce processus de basculement : la prison et le web. Aucun activiste de Daesh n'a été recruté ou jamais séduit par le discours d'un quelconque imam français, ni ne s'est radicalisé dans une mosquée. Cette vérité empirique ne signifie pas seulement que la stratégie gouvernementale d'amalgamer la gestion de l'islam de France à la sécurisation du territoire français est erronée, contre-productive et inefficace, elle induit en outre une diabolisation des institutions communautaires musulmanes injustement soupçonnées d’atermoiements continuels avec de «possibles» velléités extrémistes, salafistes notamment. 

De la sous-traitance consulaire à l'autogestion laïque  
Même chose en ce qui concerne le financement étranger de l'islam de France qui concerne directement le projet de la Fondation : le rapport sénatorial de Nathalie Goulet révèle le chiffre annuel de 12 millions d'euros (6 millions du Maroc, 3,8 millions de l'Arabie saoudite et 2 millions de l'Algérie), chiffre qui ne tient pas compte du financement du salaire des imams turcs par la Diyanet qui n'a pas été rendu public. Ce chiffre de 12 millions d'euros salarie en partie 301 imams étrangers, ce qui laisse peu de fonds pour le financement des mosquées. Quand on compare ces 301 imams aux 2500 lieux de culte en France, on tombe à un pourcentage de 8,3 % des mosquées et des imams présents sur le territoire français. On l'aura compris, la question du financement du culte musulman, si elle demeure centrale pour les principaux intéressés désireux de pratiquer leur culte dans des lieux dignes, n'a pour autant aucun lien avec la problématique sécuritaire du terrorisme. 



A la lumière de ces éléments, une seule solution paraît envisageable pour l'organisation sereine et efficace du culte musulman en France : que celle-ci demeure l'affaire des intéressés eux-mêmes et plus de l'Etat. Les musulmans de France ont aujourd'hui acquis la maturité qui leur permettra de faire émerger une instance légitime, crédible, en lien avec la base et fidèle à la diversité sociale et culturelle qui constitue sa richesse. A condition qu'on leur en laisse le temps, les moyens, qu'on cesse immédiatement d'en faire un enjeu électoral rebattu par chaque nouvelle majorité gouvernementale, et d'entraver par là-même un processus naturel qui ne demande qu'à éclore.