mercredi 28 août 2019
La chute
Dans la perspective islamique traditionnelle, et plus largement dans les enseignements authentiques de toutes les traditions, la démarche de la connaissance a toujours fait l'objet au préalable d'une ascèse propédeutique de nature propitiatoire. Nous faisons référence à la voie initiatique menant à la purification de l'âme (tazkiat-annafs), à l'illumination du cœur et au dévoilement de l'esprit. Cette condition préliminaire permettait à l'aspirant de se préserver de ses déviances, des interprétations fallacieuses suggérées par l'âme, des influences néfastes ou erronées, de nature doctrinale ou sociale, déterminées par l'environnement humain ou infra-humain. Affranchi de toutes ces impasses, l'aspirant pouvait aborder l'entreprise de la connaissance d'une manière particulière. En suivant une voie claire et solide orientée vers le Principe immuable et unique de toutes choses (Allah), en s'abreuvant des connaissances et des manifestations vivantes de l'Être Un, en étant continuellement absorbé par la présence de la Vérité Une dans la demeure du cœur, l'aspirant accédait à un niveau de connaissance englobant et qualitatif, parfaitement ignoré de nos contemporains. Ces derniers, emportés et noyés dans un torrent de boue émotionnelle, ne sont plus capables de distinguer le vrai du faux, la Vérité de l'illusion, l'essence de l'accident, le Principe de son inversion. Dans un tel état d'oubli de soi, et face à une dégénérescence aussi accomplie, la violence de l'impact avec la Réalité suprême (Al Haqiqa) à laquelle leur chute les condamnent, les destinent à une pulvérisation prochaine qu'eux-mêmes pressentent déjà indistinctement. A l'heure du sacre noir, du zénith inférieur, alors que la démesure païenne de l'Homme prométhéen semble avoir achevé de le dévorer, une nouvelle ère d'ignorance a recouvert l'esprit et voilé le cœur de nos contemporains, sourds à nos appels, dans l'attente résignée du redressement final.
mardi 27 août 2019
La leçon
La
sagesse est toujours une victoire obtenue contre soi. Penser contre
ses basses tendances, les congédier par l'instinct aguerri d'une
patience avisée, ramer sans cesse pour atteindre la quiétude
céleste et infinie de l'esprit, au péril des orages de l'âme, de
son sursaut brutal, de ses cruelles persécutions. Tous ces efforts
épuisants mais nécessaires, cette vigilance de tous les instants,
nous les prodiguons, animés d'une paisible détermination. Et de
cette expérience que nous confère l'existence, une leçon brille
parmi d'autres : en toutes choses, approfondir notre regard. Les
pommes pourries ne se découvrent pas à fleur de peau, mais à nu.
samedi 24 août 2019
Les trois sentiers
Il
faut rompre les amarres, lever l'ancre et partir au loin, vers le
large. Les tergiversations ne sont plus d'actualité. Que veut-on
vraiment ? Atteindre l'Absolu ou se résoudre à la mort lente
et ignoble que nous propose cette époque laide, malsaine et sans
honneur ?
Pour se hisser et s'envoler vers la Vie, pour
l'embrasser à pleines lèvres, pour l'étreindre sans ménagement,
il n'est pas d'autre voie que la rupture totale et sans faiblesse
avec nos contemporains.
Tout ceux qui tremblent à cette alternative,
et la cohue de plaideurs qui, d'un haussement d'épaules, tenteront
de nous convaincre par des sermons à la pureté de fange de revenir
à la raison d'une société qui n'en a plus aucune, toute cette
masse hideuse n'est plus en mesure de nous arrêter.
Les
mensonges des philosophes, qui promettaient plus qu'ils ne pouvaient
tenir, nous ont éloigné de la connaissance véritable.
En allant
s'échouer dans les abîmes vengeresses de la nuit de l'esprit, ces
apôtres du désespoir, morts comme ils ont vécu, ont eu le destin
qu'ils méritaient.
Ces imposteurs qui de la sagesse, se sont
appropriés l'enseigne, et des sages, le mérite, ont égaré des
générations d'aspirants.
Et le modèle négatif de ces âmes sans
lumière et de ces cœurs sans vie, doit éternellement nous servir
de leçon.
Pour ne pas oublier où mène l'orgueil. Pour reconnaître
les traits rugueux de son visage. Pour identifier le son acrimonieux
de sa clameur. Pour persécuter sans relâche l'ombre de ses spectres
revenants.
La
trahison des politiques qui, à leur tour, ont vendu leur âme au
démon du pouvoir, ont conduit les peuples à leur perte, le ventre
plein de fausses promesses et le regard hébété, pareils à des
ovins qu'on engraissent, avant de les conduire à l'abattoir.
La
lâcheté des théologiens n'est pas la moindre. Ceux qui ont négocié
la pureté du message des Textes sacrés pour une bribe de notoriété,
se laissant lentement glissés le long du sentier de l'âme qui
susurre des vocations interdites, tournant le dos à leurs
convictions pour se hisser, un bref instant, sur les épaules d'un
Titan de fumée, ont provoqué, sous leurs funestes pas, une
avalanche de désolation.
L'an
I de l'ère de Qaroun n'était pas encore achevé que nos
théologiens, philosophes et politiques s'empressaient de confier
leurs destinées aux nouveaux maîtres des temps : les argentiers.
Lorsque
le soleil décline et que les chauve-souris surgissent des brèches
ouvertes par la Nuit ; lorsque des nations de moustiques aiguisent
leurs aiguilles voraces avant de fondre sur le genre humain ; lorsque
les charognards lèvent opportunément le camp en quête de
dépouilles précoces, alors lèves-toi et saisit le feu.
Tison,
flambeau, bûcher, qu'importe ! Saisit-le et brûle les ailes
ténébreuses des démons volants, aux orbites dévorées par Satan.
Que ces émissaires enivrés de sang, avant-garde de la cécité
libérée par Prométhée, soient défaits !
Repousse la progression
du sable, et brise, à l'instar d'un roc de vérité primaire, les assauts des vagues de l'insignifiance déferlant sur l'esprit.
Mets toi en
marche, lèves tes armées, et part à la rencontre de ces bêtes
difformes nées des échanges incestueux entre mère Laideur et fille Cruauté.
Et
si tu es seul sur le chemin, et si tes alliés te faussent compagnie,
alors dédouble-toi, multiplie-toi, et sois sans crainte, car pour
faire fuir l'ennemi, il suffira d'un cri.
Et comme ton frère,
l'ouragan, dissipant sans effort la fumée des vaines ambitions, d'un
seul coup de clairon, tu abattras ces légions.
Il
faut rompre les amarres, lever l'ancre et partir au loin, vers le
large.
Pour
trouver l'espoir, s'abreuver à sa source, désespères de cette vie,
d'un désespoir accompli. Déraciner les attaches, survoler le
désert.
L'espoir
est ailleurs, et son reflet n'indique pas sa présence, mais sa
distance.
Pour y parvenir, il faut avoir suivi, au préalable, les
trois sentiers de la nécessité.
Sur
le premier sentier, nous poursuivrons nécessairement l'illusion pour
en découvrir la marque.
Sur
le second sentier, nous comprendrons la nécessité de rompre
radicalement avec les faux-semblants, ces marécages inconsistants,
pour mieux nous élancer et plonger dans l'Océan de l'éternel
instant.
Sur
les pas du troisième sentier, nous consentirons à nous dévêtir de
nos habits terrestres, prêts à nous mettre à nu et à nous avancer
pour nous livrer, avec sérénité, aux pieds de l'Insondable
Félicité.
mardi 13 août 2019
Destinée
Les
désirs et les fantasmes que nous projetons sur notre destinée nous
éloignent de sa connaissance plus loin qu'une feuille jaunie, gisant
au pied de l'arbre de vie, avant qu'un souffle
libérateur ne l'emporte. Nous ne serons capables de manifester
du respect à notre destinée qu'au moment où nous la comprendrons.
Et qu'est-ce que la destinée sinon la Volonté de Dieu venant à
notre rencontre pour faire connaissance, pour que la connaissance se
fasse et s'accomplisse ? Tant que nous nous parerons de faux espoirs,
nous serons condamnés à la vicissitude de l'oubli, à la
noyade dans le fleuve Amnésie. La destinée est le chemin que nous
empruntons pour faire retour vers l'Arbre de Vie. Ce chemin, nous le
frayons de nos pas, nous le formons de nos choix. Mais au terme
de l'expédition, combien d'entre nous savent ce qu'ils y
trouveront ? « Ceux qui sèment avec larmes, moissonneront
avec chants d'allégresse. Celui qui marche en pleurant, quand il
porte la semence, revient avec allégresse, quand il porte ses
gerbes. » Psaumes, 126, 5-6.
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