vendredi 30 octobre 2020

La loi des contraires

 

La satiété, loin de nous offrir la satisfaction, provoque l'extension de notre zone de désir. Le manque, lorsqu'il se fait sentir, nous enseigne la valeur du bien que nous possédons par ailleurs. Quant à l'extrême indigence et au malheur, ils nous dévoile la vanité féroce de ce monde, et en nous projetant au plus près de la mort et de la désolation aiguisent, de sa plus haute intensité, la vie qui sommeille en nous. 


In veritas



Ce qui meut l'Homme de science n'est pas la vérité mais la passion de sa possession. Ce désir pousse le savant à poursuivre derrière chaque évidence sa propre soif de puissance. Cette passion de la possession, cette soif de pouvoir a éloigné plus d'un savant vers les sentiers arides du désespoir. La vérité nous enjoint le silence et l'humilité. C'est à ce prix qu'elle pourra se livrer, qu'elle consentira à nous délivrer. C'est pour cela qu'il est dit qu'un Homme ne trouvera la vérité qu'en s'engageant sur le chemin de la paix. Ce qui est difficile pour l'Homme n'est pas tant de trouver cette vérité que de l'accepter, de l'accueillir en lui ouvrant son cœur, de lui sourire et de partir à sa rencontre en lui emboîtant le pas. La vérité ne se possède pas mais s'accomplit. Elle se signale par son humilité et se réalise par son unité.


Esthétique

 

Le puritanisme est une esthétique gothique du clair-obscur marquée par la radicalisation des pôles. Le réalisme moral est un impressionnisme procédant par petites touches. Le puritanisme se conçoit comme un dualisme marqué par un contraste dont il tire sa force. Le réalisme moral, conscient de la globalité et de la singularité des choses, sait faire preuve de patience et de pondération dans son maniement du pinceau. Derrière chaque conception éthique se cache une vision esthétique du monde.


dimanche 25 octobre 2020

Géométrie judiciaire

 


La justice détermine une causalité pénale, la vengeance recherche une responsabilité morale. La première établit une préméditation directe, la seconde s'accommode d'une présomption générale. L'une entreprend la garantie de l'ordre social en sanctionnant les coupables, l'autre à épancher sa propre colère dans une mise en scène intimidante. La justice exige du discernement, de la patience, du sang-froid et de la rigueur. La vengeance se contente de la vraisemblance et par son impatiente agitation et sa quête de bouc-émissaires inaugure de nouveaux cycles d'injustices. La vengeance est anarchique comme une ligne brisée. La justice est ferme comme un cercle.



samedi 24 octobre 2020

L'avarice du pauvre



« Satan vous fait craindre la pauvreté et vous commande les actions blâmables ». Coran (2/268). 

« L'usage seulement fait la possession ». La Fontaine.

Il est une chose des plus détestables que notre société nous enseigne avec force et efficacité : l'avarice. Nous ne parlons pas de l'avarice des riches car chacun le sait, il n'est pas de fortune acquise de nos jours qui n'ait été bâtie dans une large mesure sur la pingrerie, la retenue impudique, la dissimulation fiévreuse, la saignée grise des portefeuilles. Comprendre que l'obsession du bien n'est pas le mobile de l'avare mais seulement la peur, la peur illusoire de perdre ce qu'il a amassé, la peur de disparaître dans le vide d'où son ombre l'a fait surgir, explique comment une société fondée sur la peur a pu engendrer une nation aussi prodigue d'avares et de cadavres errants, toujours en quête d'une âme à dépecer. Il est entendu que l'Homme des hautes sphères argentées, que l'on devine hissé au sommet d'une forteresse couleur de cendre, n'a pas seulement retenu ses prébendes en les ensevelissant loin du regard de ses victimes. Il y a bien plus dans le coffre-fort de ces fossoyeurs du genre humain qu'une montagne de billets, de bons au trésor, ou d'échéanciers usuraires. Ici gisent, dans le secret des murs bétonnés, la dépouille de ce qui fut jadis une âme, les restes nauséabonds d'un cœur humain autrefois nourri par le flux vivace de l'être. L'avare n'est avare de ses biens que parce qu'il est avare de lui-même, dans son identification funeste à l'avoir. Rien de bien surprenant. Autre est le danger auquel nous assistons quant cette avarice prend possession de l'âme des pauvres, de la gent modeste, de cette réserve de déshéritées aux rêves foudroyés, de ces vagabonds aux ambitions déchues, les pieds perdus dans ce monde mais le regard peuplant les cieux. Que ferons-nous quand les mains d'ivoires de ces manants à la vertu royale cesseront de donner ce qu'elles mêmes avaient reçues ? Les riches ne donnent pas, ils s'enrichissent jusque dans l'aumône qu'ils versent à leur amour propre. Cela est bien connu : ce sont les pauvres qui donnent car ce qu'ils offrent, dans le don, à un frère inconnu, à une sœur de fortune, à un autre Soi, est bien plus précieux qu'une bourse. Dans cet étrange holocauste qu'aucune raison n'a pu élucider, le pauvre fait le sacrifice de lui-même pour revivre dans l'âme d'autrui. En mourant à ses attaches terrestres, le gueux revit d'une résurrection si fracassante qu'elle en exige l'anonymat pour se garder des regards volés et indiscrets. C'est au fond la seule richesse que l'esprit consent à conserver car elle ne lui appartient pas, quelque chose que l'avare n'a jamais connu : la liberté.


vendredi 9 octobre 2020

L'amour, forme suprême de l'intelligence

 


L'intelligence est la faculté capable de saisir les liens et les rapports qui unissent toutes choses entre elles. Par cette fonction sacrée, l'intelligence accomplit le principe primordial et divin de l'unité. De ce point de vue précis, nous pouvons considérer l'amour comme la forme suprême de l'intelligence. L'amour n'est pas une force primitive qui provoquerait l'union mais l'effet de l'union, qui n'est pas créée, mais saisie dans sa force première par l'intelligence. 


L'intensité de ce saisissement abolit la relation elle-même au point de nous faire goûter et connaître l'expérience de l'union, qui n'est que la conversion de l'intelligence vers soi ou plus exactement vers sa source, l'Esprit divin. L'amour est donc nécessairement l'accomplissement ontologique de l'intelligence, ce qui va annoncer le chemin et lever chez l'aspirant, qui en est apte, le voile illusoire de la dualité. Il est l'intelligence porté à son degré le plus élevé, ce stade où le saisissement transperce la barrière de la forme et propulse l'esprit dans le territoire inédit de la vie, dans cette expérience singulière qui le conduit de la nuit du monde extérieur vers la clarté intérieure du lieu qui le vit naître : le cœur.