vendredi 31 janvier 2020

L'envers du décor


La sainteté est la présence cachée dans le retrait apparent au monde, et c'est en ce sens qu'elle est à l'image de Dieu. Le sacré ne se dérobe qu'à l'Homme frappé par la profanation idolâtre de l’ego et dans cette dérobade même se signale encore à lui. Dans la souffrance erratique de nos contemporains qui, marchant à l'envers, vont jusqu'à fouler le ciel de leurs pieds, levant le front et élevant leur affront vers les abîmes inférieurs de la Terre, nous voyons encore le sacré se manifester à eux par la douleur de l'absence de ce qui ne peut être impunément remplacé.

Le destin de la lumière


Nous maintenir dans la grande paix, rien n'est plus difficile. Il n'est pas dans la nature de la lumière de rester concentrée en l'Homme. La lumière se propage et se répand hors d'elle même, ce qu'elle ne peut faire que dans le vide glacial et obscur de l'existence. Par la foudre de l'instant, elle se plait à transpercer les nuages cosmiques des galaxies lointaines, et des pesanteurs de l'âme nous affranchit. Immensités occultes de l'espace, confins des ténèbres de notre espèce, rien n'est jamais très éloigné de son rayon d'action. Éclair apaisé, fil d'or sur lequel est suspendu l'univers agité, la lumière nous fait voir ce qu'il y a à voir et nous donne à penser tout le reste.

Terra preta


Certaines pensées sont bien trop lourdes et douloureuses pour parvenir à s'extraire du labyrinthe obscur de nos cœurs, et bien plus éloignées encore d'espérer trouver la sortie en atteignant la cime de l'esprit. Terra preta, limon argenté, sol noir des plus fertiles... ce sont ces quelques pensées-là qui forgent toutes les autres.

Morale et bonne conscience


L'une de nos plus grosses erreurs est celle de confondre bonne conscience et changement moral. Une fois notre passion de la lamentation assouvie à la suite d'une faute ou d'un penchant viscéral, nous estimons avoir fait, à moindre frais, ce qu'il fallait pour réparer nos torts, nous privant par là même des conditions d'un changement durable. En nourrissant indéfiniment le cycle "faute/lamentation/pardon/oubli/faute" qui nous abaisse, nous nous privons du processus vertueux "faute/regret/repentir/changement" qui nous élève.

Le prix de la connaissance


La souffrance est le prix de la connaissance. Plus la connaissance augmente et plus la souffrance l'accompagne. Et plus la souffrance laboure notre poitrine, et plus la récolte des fruits du savoir se révèle prodigieuse. Amer engrais indispensable à toute floraison de l'esprit, c'est au cœur de la nuit glaciale et hivernale qu'elle survient.

Le sens de notre réalisme métaphysique


Si nous prenions nos vies au sérieux, nous prendrions notre mort au sérieux. L'indice d'une vie sérieuse est son niveau de réalisme métaphysique. Le réalisme métaphysique n'est pas une doctrine abstraite mais la conscience aiguë d'une vérité fondamentale dont le caractère nous échappe et qui, dans le même temps, ne cesse de déterminer le cours de notre existence. Nous noyons notre pensée de la mort dans l'ivresse frénétique d'une vie agitée et dispersée dans les considérations les plus triviales, trahissant ainsi l'angoisse de la confrontation inéluctable qui, inconsciemment, nous accable. Notre rapport à la mort traduit parfaitement notre niveau de conscience (ou d'inconscience) de ce qu'est le réel, et de la finitude de notre vie terrestre. "Toute âme goûtera à la mort" (Coran, 3, 185). Accepter notre mort est la seule manière de nous préparer à l'accueillir au mieux de nos capacités, étant entendu que rien ne peut véritablement nous y préparer. Expérience fatale, forme la plus aboutie de la dépossession de soi, la mort nous livrera le moment venue la seule chose qu'elle puisse simultanément nous offrir en nous l'ôtant : la connaissance exacte de la vie, qui est don et altérité radicale. Au demeurant, la conscience préalable de la mort ne peut avoir qu'un seul but : nous permettre de faire le choix de la Vie authentique, qui est vie de l'esprit et victoire sur la Mort. "Tout doit périr hormis le Visage de Dieu" (Coran, 28, 88). Vivre dès à présent dans la contemplation du Visage de Dieu, c'est goûter la plénitude d'une vie que la Mort elle-même saura impuissante à nous arracher.

Monstruosité urbaine


L'obscurité totale de la nuit et le silence sont deux expériences que notre humanité urbaine a perdu. Les lumières permanentes, la pollution sonore des villes nous ont privés de ces expériences spirituelles fondamentales qui nous reliaient foncièrement à Dieu dans la manifestation de ses signes cosmiques. L'accès immédiat à la consommation, le non rapport aux animaux domestiques, l'ignorance de l'agriculture, l'absence de relation à la terre, à l'eau et au cycle de la vie, ont également fait de nous des monstres, c'est à dire des êtres contre-nature. Vue ainsi, et quelle que soit la souffrance qu'elle nous infligera, les conséquences douloureuses de l'anthropocène ne seront qu'un juste retour à l'ordre des choses décrété par la loi immuable du redressement. "Ce que l'Homme ne veut pas apprendre par la sagesse, il l'apprendra par la souffrance". Melkisédech.

Ascèse gnostique


Nos impressions, nos passions, nos jugements précipités nous mènent par le bout du nez au bord du précipice. Il est un temps où l'Homme doit finir par comprendre que la connaissance authentique s'acquière essentiellement par les canaux de la nécessité, de la distance au monde, de la retraite spirituelle, du silence, pour se manifester ensuite et seulement après dans nos vies quotidiennes. Ce qui parviendra jusqu'à nos cœurs par les conduits austères de cette ascèse improbable aura la saveur fraîche d'une liqueur épurée de ses impuretés, obtenue par les anfractuosités rocheuses de notre discipline personnelle.

Le cri de l'immortel


Les Hommes peuvent être facilement dupés car ils se laissent conduire trop rapidement par les apparences de la réalité dont ils sont condamnés, par leur crédulité, à demeurer prisonniers. Quoi que nous disions et quoi que nous fassions, nous ne parvenons que très difficilement à nous libérer des instincts judiciaires de l'âme sensible. Les sens nous imposent leurs catégories, les images s'imprègnent dans notre âme, les mots se glissent dans nos cœurs et viennent troubler notre sérénité. A combien de territoires de l'être encore inexplorés n'avons nous pas déjà renoncés. La vérité est voilée d'une parure trompeuse, rugueuse, destinée à la dissimuler aux regards des importuns, des vaniteux. A cette cohorte désolante et envahissante, il n'est pas permis d'accéder aux divines audiences. Quant à ceux dont le cœur est voilé, il n'est plus d'autre choix pour eux que de déchirer le linceul obscure dans lequel ils se sont enveloppés d'un cri primale propre à faire vibrer les palais immuables de la céleste éternité. Le cri vital et primordial de la mise à mort de soi annonce notre sortie des ténèbres, escorte notre entrée dans le monde et préfigure notre renaissance. Vivre, mourir et renaître ici-bas est une anticipation propitiatoire inconnue des mortels pour lesquels la vie et la mort sont des événements et non des états. Seul un cœur vivant ne craint plus la mort au point de se faire craindre d'elle. Seul un cœur vivant est immortel. « Désirez la mort si vous êtes sincères » (Coran). « Mourez avant de mourir » (Le Prophète).

La marque des véridiques


La sincérité est une pleine conformité de la disposition intérieure avec le comportement extérieur. Les véridiques se reconnaissent à cette marque : ils vivent ce qu'ils prônent. Verbe déambulant dans la cité tels des prophètes sans révélations, ils ne disent pas ce qu'ils sont mais sont ce qu'ils disent, et nul autre preuve ou argument n'est en mesure de surpasser la luminosité évidente de cette démonstration vivante. Si vous voulez savoir si un Homme est véridique, observez donc sa vie, ses actes et tendez l'oreille aux murmures cachés, de sa poitrine, dérobés. Il n'en faut pas davantage car la vérité (al haqq) est une manifestation évidente de la Réalité (al haqiqa) à laquelle elle est identifiée. Le faux, illusoire néant, n'a pas ce pouvoir et ne survit pas à l'instant. Les véridiques sont comme les prophètes : le temps nous révèle avec force leur identité pour peu qu'on sache patienter et soutenir le regard embrasé de la Suprême Réalité.

Les Vivants


Le Moi est un Mur. Le Nous est un pont. Le Je est la source. En te regardant, je me vois. En te parlant, je m'interpelle moi-même. En t'écoutant, je me découvre et je fais connaissance avec moi, avec nous, avec Lui. Le Moi contemple le Soi, le reflet regarde l'Être reflété et dans son regard s'y résorbe. La réintégration du Moi dans le Soi, du Nous dans Lui (Houwa), la contemplation de la présence divine en chacun de nous est l'apanage des êtres réalisés, des Hommes qui vivent en accord avec la Réalité suprême. Ceux-là sont ceux que, de tout temps, on appela les Vivants.

La malédiction du criminel


Ceux qui croient échapper à la justice, dans cette vie ou dans l'autre, accomplissent par leur aveuglement une étape nécessaire vers son rétablissement. En se nourrissant d'illusions, le criminel sème les graines futures de son propre désaveu jusqu'au moment fatidique où les fruits de ses œuvres empoisonnées, arrivés à maturité, lui tombent sur le nez, au point de l'éclabousser, et de venir lui ôter le bandeau de sa crédulité. 

La dissonance cognitive


Certains pensent à voix haute. D'autres parlent en silence le langage intérieur de la pensée. Quant à la plupart, ils parlent pour ne rien dire ou ce qui revient au même, ne pensent pas ce qu'ils disent.

Transports en commun


Les transports en commun sont la dernière aventure du genre humain, et durant les grèves, l'aventure vire à la lutte pour la survie. En ces moments intenses de rapprochement où la sueur fétide des aisselles acculées et la palpation fébrile d'une main cherchant une branche métallique où se raccrocher, où le désespoir des laissés sur le quai freine par la puissance de l'esprit jusqu'à l'avancée de cette diligence moderne qu'est le bus, nous revivons l'époque austère des hominidés faisant la queue, à l'ère glaciale, pour se départager la carcasse d'un mammouth, presque mort, agonisant sous les coup de silex aiguisés le destituant de sa chair, et sous les cris d'une meute humaine emportée par la rage. Qui a dit que l'Homme avait changé ?

L'ultime découverte


L'Homme voulait bâtir son propre monde, et il lui fallut avaler avec amertume jusqu'aux dernières miettes de son pain noir pour réaliser tout ce qu'un tel projet comportait de vanité. Et découvrir, suprême horreur, qu'on ne s'aventure pas sans péril dans les régions obscures de la folie, ce territoire perdu dont on ne revient jamais plus.

samedi 11 janvier 2020

Les aveux du temps



Le temps m'a pris ma vigueur et m'a ôté mes illusions. Il m'a dépossédé de mes joies et m'a libéré de mes peines. Il m'a aussi privé de mes rêves pour me conduire vers la Réalité. Le temps m'a pris tout ce que j'aimais, m'a minutieusement arraché, une à une, toutes les âmes qui ont un jour compté, les êtres chers dont les cœurs tressaillent et saignent à la moindre évocation. Tous ces forfaits, le temps les a accomplis avec la froide détermination de ceux qui ne renoncent jamais et arrivent à leur fin, lentement, cruellement. De tout cela, le temps est coupable. 


Et quels mots l'accusé a-t-il prononcé pour sa défense ? « C'est par générosité que je t'ai ôté tout ce que je pouvais pour t'offrir tout ce que tu méritais. C'est par fraternité que je t'ai libéré de tout ce qui te détournait de ta destinée pour t'élever jusqu'à la puissance de mon impassibilité car chaque Homme est fils de son temps. C'est par amour que je t'ai privé des êtres aimés et de l'amour de la mort car Nul autre que Lui ne pourra éternellement te donner ce que tu recherches, l'immuable félicité de connaître Celui qui sait, Celui qui est, Celui qui aime. Tu n'aurais jamais pu découvrir cet amour autrement que par l'expérience de la perte radicale de tout ce qui est condamné à périr. Depuis, et par la grâce de cette sainte remémoration, tu n'a cessé, de grandir, de t'épanouir, et à présent, te voilà venu m'ôter l'outil précieux qui faisait ma gloire : la limite. »

dimanche 5 janvier 2020

Le secret de l'amour


Certaines déclarations d'amour sont des déclarations de guerre masquées, consacrant chez les uns ce qu'elles destituent aux autres. Au demeurant, que faut-il penser d'un amour qui se contente d'une expression verbale au point d'y voir le signe le plus élevé de sa manifestation ? Les expressions de l'amour sont inversement proportionnelles à leur degré. Plus l'amour est profond, moins il est capable de prendre forme dans des locutions ciblées, en particulier des paroles, qui ne sont que des limitations. L'océan ne peut être contenu dans le lit d'un fleuve, et bien que le fleuve soit la manifestation lointaine de l'océan, il en constitue au même titre la limite et l'éloignement. La marque suprême de l'amour est celle de la présence d'esprit. Un amour prodigue en déclarations en est dépourvu, n'ayant pas su conserver en lui-même ce qu'il s'empressait de déclarer à la face du monde. L'amour est un trésor précieux et un trésor ne s'expose pas. Il se dissimule.

vendredi 3 janvier 2020

La concorde


La religion ne doit jamais être un sujet de division mais une occasion de rencontre et un espoir d'union. Cette proposition devrait faire office de maxime cardinale pour toutes les communautés religieuses. Parler de religion ne devrait être admis que pour les maîtres du savoir et de l'ascèse, les êtres accomplis en Dieu, les seuls capables d'harmoniser leurs divergences et de se hisser aux nobles exigences qu'une telle discussion implique, au risque de sombrer dans la polémique, l'excommunication, le fanatisme ou le rejet. 


Puisqu'en définitive, il n'est d'autre fonction reconnue à la religion que de relier l'Homme à Dieu, et Dieu étant Lui-même Unique, ainsi que le Principe et la Finalité de toute religion, comment pourrions-nous nous diviser en nous appuyant sur Lui ? Ceci est impossible et prouve bien que les causes des divisions religieuses trouvent leur explication ailleurs : la passion, l'intérêt ou l'ignorance. « Ô vous qui avez reçu l'Ecriture, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n'adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que nous ne nous prenions point les uns les autres pour maîtres en dehors de Dieu » (Coran, III, 64).

Une question de regard


La Vérité a été révélée pour l'Homme, et pourtant, nul autre adversaire ne fut plus acharné contre elle. C'est sans doute à la passion, ce char enflammé conduisant nos cœurs vers les cendres de nos illusions, que nous le devons. « Et n'habillez pas la vérité avec le faux, et ne dissimulez pas la vérité alors que le savoir vous a été donné » (Coran, II, 42). Pour autant, et si tant est que nous appartenions à cette catégorie de ceux à qui la connaissance a été donné, que nous sera-t-il permis de faire contre ce redoutable adversaire ? Rien. Rien, car si la vérité elle-même n'a pas creusé son sillon dans un cœur voilé par les tuniques bigarrées et séduisantes de la vraisemblance, si notre message est rejeté, menacé par les lances aiguisées, héritées des guerres du passé, si nos paroles, sans cesse déformées par les brumes de l'esprit, nous sont renvoyées au visage comme des actes d'accusation, si la main tendue devient, sous l'effet de la lumière, l'ombre menaçante d'un spectre auquel on tourne le dos, alors il n'est rien d'humain qui puisse être fait. Il est, dans ce cas, préférable de s'éloigner, de revenir à la paix primordiale et d'adopter comme demeure l'immuabilité divine de l'impassibilité. En toutes choses, le temps doit faire son oeuvre, et ce qui doit passer « sous le Ciel », le fera, quoi qu'il en soit.


Cependant, il nous est encore permis d'espérer car les portes de l'esprit, toujours, sont ouvertes pour ceux qui vivent en Dieu. Et dans la bienveillance envers nos prochains, et dans la prière pour une issue favorable, nous trouverons un appui solide, ainsi que dans la patience. « Et fais preuve de patience en restant avec ceux qui prient matin et soir ne désirant que Sa Face » (Cor, 18, 28), « ceux qui se recommandent la vérité et se recommandent la patience » (Cor, 103, 3). Revenir radicalement à Dieu et à Lui seul, en purifiant nos cœurs de tous les vestiges de l’idolâtrie, en nous délestant de toutes les médiations, en honorant fidèlement notre pacte d'allégeance, en cultivant les devoirs de l'hospitalité et en semant les racines de la confiance, nous semble être une proposition de premier ordre pour une politique de l'esprit à la fois ambitieuse, légitime, et de ce fait recevable pour l'humanité. Nous l'avons souvent répété et ne cesserons de le faire : notre immunité se trouve dans un cœur lavé des passions humaines, un cœur sain et apaisé. Cette ascèse est une condition préliminaire d'accès à la connaissance gnostique puisqu'un cœur souillé par la convoitise ou la haine ne peut entrevoir le Visage de Dieu. Porter sur le monde un regard empreint d'une vision sacrée accordée par la grâce du troisième œil (le cœur) ne pourra que nous élever très-haut au dessus des nuées de la discorde. Et en nous conduisant à la Source, nous rétablira dans nos droits.

mercredi 1 janvier 2020

L'accomplissement de la Loi

La réalisation de la Loi ne passe pas par son application mais par son accomplissement. L'application de la Loi marque le commencement de la réalisation mais elle n'est qu'un premier pas. Elle détermine les limites indispensables de la Voie et indique à l'itinérant la forme du chemin qu'il devra suivre. Sans ces limites, il n'est pas possible de discerner préalablement le bien du mal et de s'en prémunir. Mais il est nécessaire de comprendre que la Voie verticale de l'itinérant en quête d'accomplissement débute là où s'arrête le sentier horizontal du fidèle. Celui qui se lance sur les traces de l'essence de la loi trouvera l'Esprit. Si la loi, en tant que mise en ordre, est bien la manifestation extérieure de l'Esprit, l'esprit est lui-même la manifestation intérieure de Dieu. En allant s'abreuver à la source de l'Esprit, l'aspirant transcende de fait la Loi extérieure, et par ce fait même, l'accomplit. Vivre la loi, c'est devenir la Loi, son signe manifeste sur la Terre. S'il n'y a pas de lettre de la loi sans esprit de la loi, l'inverse est aussi vrai à ceci près que la loi, forme, langage et acheminement, bien loin de réduire l'esprit, nous conduit vers Lui, et ne demeure sous ce rapport qu'une forme médiate. Ceux qui espèrent s'émanciper de la Loi allant jusqu'à voir dans son abandon le signe d'une réalisation spirituelle n'ont pas saisi ce qu'était le sens de la Loi n'ayant pas identifié la source spirituelle de sa manifestation. Quant à ceux qui réduisent l'esprit à la Loi en le confondant avec, ceux-là ne connaissent la nature ni de l'un, ni de l'autre.
La loi est un sentier clairement tracé, censé nous mener des étroites limites de notre existence vers les immensités célestes de la Voie divine. En nous élevant bien au-delà des limites du sentier vers l'Esprit de la Loi, nous nous offrons la possibilité de nous irriguer, en amont, de tout ce dont la loi ne constitue, en aval, qu'une application partielle : la force, la pureté, la vigueur, l'harmonie, la beauté et la vivacité de l'Être. Comprenons que la loi n'est qu'un moyen destiné à protéger et à garantir à l'Homme l'accomplissement de cette finalité sacrée : s'affranchir des ténèbres de l'oubli pour être ramené à la vie de l'Esprit qui nous a fait naître. Cette seconde naissance ou renaissance ne s'obtient que par les Voies sacrées de l'Amour qui la préside. Si l'être est présence, l'amour, qui est expansion, est bien la manifestation suprême de l'Être. De ce point de vue, l'amour, tout à la fois principe, voie et loi, est sans nul doute le premier des commandements intérieurs de l'Esprit. Mais bien peu sont les Hommes aptes à l'accomplir. « Tu ne pourras jamais être patient avec moi. Comment endurerais-tu des choses que tu n'embrasses pas de ta connaissance ? » (Coran, 18, 67-68). La patience est sans nul doute la condition de la connaissance, la confiance en est la garantie et l'amour en est la source. Quant à l'itinérant accompli, qu'il prenne garde et se prépare. L'accomplissement de la Loi de Dieu le mènera tôt ou tard à défier la loi des Hommes. Sa seule existence est un scandale pour le commun des mortels, une menace qu'ils ne peuvent tolérer, conscients que sa présence annonce, pour leur ordre factice, la promesse certaine d'une abolition. C'est en ce sens qu'il faut comprendre qu'en tout temps la manifestation de la Loi divine, dans le cœur des Hommes, a toujours su trouvé comme corollaire immédiat la limitation temporelle de la loi des Hommes, qui n'est autre que l'expression la plus visible de leurs passions.