L'annonce du début du mois de Ramadan est encore une fois marquée par des incertitudes quant au choix de la méthode qui la définira. Perdu dans des annonces contradictoires entre calcul astronomique et observation oculaire, le CFCM semble de plus en plus discrédité aux yeux des musulmans de France.
Quelle décision prendra le CFCM à l'approche du moment fatidique tant attendu, à savoir l'annonce du début de ramadan 2014 ? Dans deux communiqués publiés les 30 mai et 18 juin, l'institution officielle du culte musulman a annoncé qu'une réunion officielle serait reconduite le vendredi 27 juin à 18 h.
Le CFCM a précisé qu'il sera tenu compte de l'observation de la lune et de l'avis des différents pays musulmans dans le choix de la date. L'UOIF et le CCMTF, qui font partie du CFCM, ont déjà annoncé le début de ramadan pour le samedi 28 juin. Les deux institutions s'appuient sur la méthode du calcul astronomique dans sa version pure, celle qui tient compte de la précocité visuelle et du principe de transposition, à savoir le premier lieu sur Terre où la nouvelle lune sera observable.
L'arbitrage de l'Arabie saoudite
L'UOIF et le CCMTF considèrent par ailleurs que la décision du 9 mai 2013, en référence au colloque organisé sur le calcul qui s'est terminé par une décision unanime de toutes les composantes du CFCM sur le choix de cette méthode pour les musulmans de France, fait office de règle et qu'elle doit être appliquée.
Sauf que l'an dernier, le même CFCM a reculé en annonçant deux dates successives, la première s'appuyant sur le calcul et seulement le calcul, l'autre sur la vision mais dans les faits, sur l'annonce de l'Arabie saoudite qui fait encore et toujours office d'autorité internationale en matière d'islam. La cacophonie qui a suivi a été très mal vécue par les fidèles.
Cette année, l'institution a donc choisi de ne prendre aucun risque et de s'aligner sur la majorité des pays musulmans, Riyad en tête. Pour le moment, car le feuilleton ne fait que commencer.
Le péché originel du CFCM
Ainsi, le festival d'annonces successives sur fond de messages unitaires aussi risibles qu'utopiques dans les circonstances actuelles, a considérablement endommagé le peu d'autorité conservé par l'institution. A qui la faute ? En réalité, à personne. Depuis sa création, le CFCM n'a fait que récolter les fruits des circonstances particulières qui ont présidé à sa naissance, qu'il ne doit qu'à l'intervention du ministère de l'Intérieur qui est aussi celui des Cultes.
Pour une raison simple : personne d'autre n'était capable de réunir et mettre d'accord autant de composantes de l'islam, en proie aux luttes intestines idéologiques ou consulaires pour la main-mise du fauteuil institutionnel, alors mêmes que d'autres sensibilités (salafistes, libéraux, islamistes de gauche...) étaient tout simplement écartées ou cooptées à titre individuel.
Le péché originel de la fondation du CFCM n'a eu de cesse de le poursuivre toutes ces années : il n'a pas été conçu des entrailles de la base musulmane mais est tombé du ciel orageux des diplomaties maghrébines et de leur cortège de nuées sombres.
Un électrochoc salutaire
Délégitimé et conspué pour son patte-de-blanchisme de principe à l'égard de l'Etat, égratigné par la masse des fidèles, pour l'absence de qualification religieuse de ses membres, pour la tutelle étrangère des cadres religieux qu'il entretient sur le territoire français, le CFCM traverse l'une des crises les plus importantes de son histoire qui est elle-même le récit de crises successives. Son atermoiement de l'an passé a été une faute majeure et a été perçu comme une faiblesse et un manque d'autorité et de cohérence.
Pour autant, il était difficile à l'institution d'imposer par la force une décision incomprise et rejetée par une grande partie des fidèles et des mosquées de rite malékite ou de la mouvance salafiste. Le CFCM a découvert qu'avoir raison n'est pas toujours suffisant et que l'autorité se déclame moins qu'elle ne s'impose naturellement. Au point où en sont les choses, il n'est pas certain qu'un nouveau fiasco ne soit pas le meilleur des scénarios pour l'institution.
En effet, seul un électrochoc social peut encore ranimer ce corps moribond et obliger ses membres à trouver un nouvel accord négocié qui soit acceptable pour les musulmans. Le Prophète ne promettait-il pas un château au Paradis à celui des musulmans qui renonçerait à une polémique même s'il a raison !
Pas seulement un débat théorique
D'ailleurs, la majorité des acteurs engagés dans cette discussion polémique entre partisans de l'observation oculaire ou calcul astronomique intégral ont perdu de vue que l'essentiel aujourd'hui pour bon nombre de fidèles n'est plus là. L'intensité de la polémique actuelle est devenu un risque de conflits et de haines réciproques car il ne s'agit pas seulement d'un débat théorique.
Dans les faits, toutes les parties ont eu raison dans leur choix et tort dans leur comportement. L'annonce précoce de la date en dehors du cadre de l'institution est une faute pour ses membres, d'autant plus incompréhensible qu'ils se sont largement investis pour la maintenir en place.
La polarisation entre partisans du calcul et de l'observation, une autre gageure dans la mesure où aucune observation n'est possible sans calcul et aucun calcul solide possible sans prendre en compte des paramètres empiriques.
Une solution consensuelle existe
Il y a plusieurs approches du calcul et plusieurs approches de l'observation. Les propositions de l'astrophysicien Bruno (Abdel Haqq) Guiderdoni, de l'Observatoire de Lyon et proche du recteur de la Grande Mosquée de Lyon Kamel Kabtane, qui combinent une approche calculatoire non radicale - au sens où elle excluerait toute latitude observatoire aux autres approches - est une option intéressante sur laquelle les partisans du calcul devraient se pencher!
Cette approche combinerait les avantages des deux méthodes en les synthétisant. Le commencement du Ramadan pourrait être anticipé par le calcul, et la prévision du ou des points de vision de la nouvelle lune permettrait de décréter consensuellement, en fonction de l'importance de l'extension des aires géographiques concernées, la date la plus ouverte et la plus probable.
La solution de ce noeud gordien se trouverait donc plus du côté de la disposition psychologique et morale des acteurs de l'islam de France que dans le cerveau d'un scientifique !
Article publié sur Zaman France