vendredi 24 mars 2023

L'unité intérieure

 


L'unité ne peut pas être atteinte durablement du point de vue extérieur car ce point de vue est soumis à toutes les variations indéfinies de la manifestation universelle. 

L'unité ne peut s'atteindre que dans la communion naturelle des points de vue intérieurs puisque seul l'intérieur est directement relié à la Source unique. 

Lorsque cette convergence est établie effectivement, il y a union dans les limites précaires que la contingence implique. Cette règle contribue à expliquer l'incapacité chronique des approches exclusivement rationnelles d'obtenir cette unité sous quelque rapport que ce soit.

mardi 15 novembre 2022

Le rang

Le rang n'est pas la rangée. Ta place dans la rangée ne dit rien de ton rang. Celui qui est devant n'est pas celui qui se met en avant. Celui qui est devant, celui-là même que Dieu a mis face à ses responsabilités et qui parvient de haute lutte et seulement par la lutte à s'en acquitter, franchit les limites de sa demeure étendues désormais au-delà de lui-même, tournant définitivement le dos aux gîtes familiers du passé où il s'était trop longtemps attardé. Le voilà poussé au-devant de soi, invité à se dessaisir de lui-même, à se libérer des images lointaines, s’il veut prendre les devants. 

Être devant n’est pas une position mais un état qu’on porte avec soi, une discipline acquise au prix du renoncement de la banalité, de cette « vie ordinaire » qui ordonne les choses les plus essentielles selon les formes les plus laides qui soient concevables, les plus difformes, non plus celles qui montrent quelque chose mais se montrent elles-mêmes comme la finalité ultime, ce qui définit précisément leur monstruosité. Autant, du moins, que ses ressources lui permettront de s’en convaincre, et aussi longtemps que notre résistance lui en concèdera le pouvoir. "Nous ne pouvons être devancés." (Coran, 70-41)

Dans la folle dispersion de notre temps, rentrer dans le rang n’a plus du tout la même signification qu’auparavant. Il se pourrait que cette action volontaire et ordonnée selon une direction et un alignement conforme à la Réalité produise des effets inespérés, évaluée à l’aune de notre simple considération humaine. Au demeurant, rien ne parait éloigner plus notre compréhension de cette réalité des choses que l’ensemble de ces constantes que nous tenons sous notre pouvoir et que nous appelons la science. 

Le succès du littéralisme

 


Ceux qui ne comprennent pas que le succès du littéralisme religieux, du mimétisme sans médiation, de l'accès immédiat à la religiosité parfaite ou droite de l'orthopraxie, sorte de raccourci censé suppléer la patience et la connaissance qu'exigent la voie du cheminement, ceux, disions nous, qui ne saisissent pas le fait que ces succédanés d'une "religiosité express" ne sont que les expressions les plus conformes de "l'esprit" du moment qui commande la frénésie, l'ivresse de la perte de soi dans la perte du temps, la consommation sans sommation, la récolte sans plantation et la gustation sans culture, ne feront qu'essentialiser un phénomène ou, plus exactement, et dans la mesure où ils ne saisissent pas l'essence véritable de ce phénomène, à lui en substituer une autre, factice, reconduisant par-là même et indéfiniment les germes d'un vieux malentendu.

lundi 22 août 2022

Une chevauchée diabolique

 


L'air est brûlant. L'ombre est chaude. La fièvre gagne les esprits. Et nul n'est décidé à l'arrêter. Face à la folle insouciance des Hommes de la techné, emportés dans une chevauchée diabolique vers l'exploitation destructrice des ultimes ressources naturelles, se dressent des groupes résiduels formés de tous les héritiers dévoyés des grandes religions, messagers de l'inaction, apôtres de la déresponsabilisation humaine, annonciateurs frénétiques du redressement final qu'ils appellent de leurs vœux et qu'ils anticipent de leurs renoncements. Cette engeance indigne du califat primordial goûtera, le moment venu, à l'amertume de ses abdications inassumées, dissimulées sous les décombres de sa virilité spirituelle, le temps qu'une génération d'Hommes accomplis surgisse des entrailles de nos erreurs et pourfendent nos défaites en les rachetant par leurs succès. Dieu ne saurait être mis en échec.

Pierres fatales

Mes pensées, lourdes et fatales, sont des pierres. Il fut un temps où je m'amusais à les lancer au visage de mes ennemis. Accoutumé à la vue du sang et vite lassé de ces jeux stériles, je me plus bientôt à les faire ricocher à la surface glacée des lacs sauvages de mon esprit pour mieux en épouser les cercles, hypnotiques. Aujourd'hui, je m'efforce de les tailler, les polir, les embellir, les rendre plus hospitalières. Mais trop jaloux de mon bien le plus précieux et non décidé encore à les partager, je me résolus bientôt à les enterrer pour que ces lourdes pensées, ces pierres fatales prennent de l'âge, de la valeur, et que leur sombre éclat cède la place à de belles pierres, pierres précieuses de mes pensées les plus précieuses. A les enfouir loin de moi, dans les entrailles de la sainte terre, asile des disparus, refuge des exilés de ce monde. Ni trop près de la surface, de peur qu'on ne les piétinent, ni trop loin, dans les bas-fonds du centre de la terre, de crainte que plongées dans les océans de feu elles ne se fassent météores et s'emploient à lapider mes héritiers. Et qui donc serait digne de les posséder, si ce n'est celui qui aurait consacré sa vie à les rechercher...

mercredi 3 mars 2021

Un Homme digne !

Le fait de subir une injustice ne fait pas de toi un Homme juste, seulement un Homme éprouvé. La souffrance qui déchire ton âme n'est pas la marque d'un saint ou d'un martyr, seulement celle d'un Homme qui souffre. Ce que tu feras de ton injustice et de ta souffrance, voilà ce qui te vaudra mon respect. Cette chose et uniquement celle-là me permettra de témoigner de ta valeur et de m'entendre chuchoter silencieusement au cœur de l'alcôve impénétrable qui me tient lieu d'âme, ces mots : voilà un Homme digne !

dimanche 17 janvier 2021

La passion du rationaliste

La démarche rationaliste exclusive est une prise de possession de la vérité ou de ce qui est décrété comme telle. Elle est, plus que l'expression d'une volonté de puissance, celle d'une volonté de possession et d'appropriation de la connaissance, la détermination exclusive de ce qui est vrai, selon ses propres canons. Le rationaliste impose sa vérité, selon ses normes, et investi par ce pouvoir, il délimite son territoire, ce qui relève de sa propriété. Les racines des mots sont des testaments qui nous révèlent bien souvent leur nature cachée. Le latin rationem, qui a donné raison, a signifié très tôt le calcul, le compte. Autant dire que la rationalité exclusive est le contraire de l'intelligence qui relie fondamentalement les êtres et les choses (en latin, intel ligere indique cette idée, et la notion arabe de 'aql obéit à la même fonction). C'est cette passion de la possession qui est le mobile le plus prégnant du dogmatisme rationaliste des philosophes. Dans le fond, ce n'est pas la quête de la vérité qui anime le philosophe mais la passion de sa possession unique. Le rationaliste proclame qu'il est dans le vrai car la vérité est pour lui une conquête sur le monde, une détention du réel. Lorsqu'il déroule le tapis rouge de son orgueilleuse démonstration, ce corsaire du langage lève bien haut le drapeau noir de la possession et sillonne les mers pour en accroître la prise. En définitif, cet homme détient la vérité comme une prise de guerre, comme une mise en détention, comme une fatale réduction ad res. Et cette passion de la possession fait office, pour lui, de règle suprême, une règle qui abolit toutes les règles jusqu'à s'anéantir elle-même. Le rationaliste n'est pas dans le partage, dans l'édification commune ou l'émancipation ("La vérité vous rendra libre") mais dans l'appropriation et tous les moyens sont bons pour l'obtenir.