En prenant la plume
ce soir, j'envisageais d'intituler ce texte l'avenir du réformisme
musulman, à la suite d'un colloque qui lui a été consacré
récemment. Mais très vite, il m'est apparu que le véritable sujet
n'était pas celui-ci, pas plus qu'il ne s'agissait de l'avenir de
l'islam en France, bien qu'un lien évident les reliait. C'est un
tout autre problème que nous avions à l'esprit et que nous
soulevons en ces termes et par cette dénomination : quel sera
l'avenir des musulmans en France ? L'islam étant l'affaire
exclusive de Dieu, le sort qui sera réservé aux musulmans sera
avant toute chose celui qu'ils se réserveront eux-mêmes.
Qu'entendons-nous par là ? C'est très simple. Pour bon nombre
de Français de confession musulmane, il n'y a plus d'alternative
possible. Les crises profondes traversées par le monde musulman, qui
a trouvé des échos violents jusqu'en Europe, n'a fait que
précipiter un questionnement existentiel sur leur condition de
croyant, questionnement initié historiquement depuis bien longtemps
par la conscience musulmane et qui n'a pas épargné les fidèles
français et francophones de l'islam. Tout concourait à les mener
vers cette voie du questionnement profond. L'immense retard culturel
des populations majoritaires d'Afrique du Nord, qui n'ont pas su se
réveiller de leur long sommeil historique ; le fossé
intergénérationnel ; le choc des convictions religieuses
déployé dans un environnement national d'une hostilité unique en
Europe quant au rapport à la foi ; les affirmations
identitaires exacerbées entre néo-nationalisme fantasmé et
wahhabisme exporté ; les conflits sociaux et plus récemment,
les conflits intersexuels : tout ces nombreux facteurs
coercitifs et les multiples effets qu'ils ont engendré ont mené
deux générations de musulmans a opté pleinement pour l'option
d'une réforme de l'islam.
La réforme
expliquée par les réformistes musulmans
Certains définissent
cette option comme l'abandon de pratiques culturelles jugées
rétrogrades ; d'autres parlent de redéfinir les priorités
islamiques des musulmans (éducation, accès au savoir, action social
à haute valeur éthique ajoutée). Il y aussi les partisans d'une
refonte du droit et de la jurisprudence musulmane (fiqh).
Ou encore le segment le plus extrémiste des partisans du réformisme
qui prône une sortie déguisée de l'islam par la médiation d'un
individualisme laïcisé devant les mener, selon leurs termes, à une
libération de la raison enfermée dans le dogme, et à
l'instauration d'un humanisme. Pour la totalité de ces divers
partisans de la réforme, un aggiornamento
de l'islam lui permettra une intégration profonde dans le monde
moderne et sécularisé de l'Europe et lui offrira, par conséquent,
l'espoir d'un avenir durable.
Des voix intellectuelles comme Tareq
Oubrou estiment, à raison selon nous, que penser la réforme en
terme de droit et de jurisprudence n'est pas à la mesure de la
situation qui exige un changement complet de paradigme, devant se
traduire par une théologie de l'altérité selon ses termes, pour
repenser l'islam et les défis qui l'attendent à notre époque régie
de toutes parts par la notion de complexité pour paraphraser Edgar
Morin. Effectivement, la suprématie du droit musulman qui n'a pas,
jusqu'à ce jour, été détrônée des études islamiques, est une
difficulté majeure qui masque les véritables enjeux auxquels nous
sommes confrontés.
Vers un cinquième
madh'ab européen ?
Les réformistes
musulmans qui ne prônent pas de rupture définitive avec l'héritage
islamique n'en retiennent pourtant que le fiqh
et n'envisagent cette réforme qu'en terme de normativité, autrement
dit plaident pour un nouveau formalisme juridique adapté à notre
époque, tout en prétendant refuser une triple impasse qu'ils
définissent ainsi : l'enfermement dans des traditions passées
(traditionnalisme aveugle), l'importation d'une compréhension
islamique étrangère et inadaptée (exemple : wahhabisme), ou
la dissolution totale des préceptes remplacés par un lien religieux
sentimental. Un refus qui culminerait vers une autre
proposition : poser les outils qui permettraient la fondation
d'une nouvelle école jurisprudentielle (madh'ab)
européenne inspirée historiquement par l'Espagne andalouse et
agrémentée de nouveaux avis juridiques contemporains.
Hélas, cette
option traduit certainement le désarroi le plus profond de la pensée
musulmane contemporaine qui semble condamnée à deux options :
le renouvellement formel et artificiel du discours et de la praxis
islamique via la perpétuation de fatawat
(avis juridiques) envisagées comme
panacée islamique ou bien la rupture religieuse préparée par des
élites post-musulmanes converties au sécularisme européen. Il y a
pourtant une autre voie, et à notre sens la seule qui soit
suffisamment radicale pour répondre aux vraies questions qui se
posent aux musulmans, et surtout par-delà eux, à l'ensemble de
leurs contemporains. Nous y viendrons. Avant cela, il est
indispensable de poser sur la table certains préliminaires qui
éclaireront mieux la nature de cette voie radicale que nous estimons
inévitable.
La perte du sens,
de l'être et de la destinée
Pour saisir la
profondeur et la complexité d'une voie qui par nature ne peut-être
que radicale, il suffit de prendre conscience de la triple perte
consécutive qui a déterminé la trajectoire philosophique et
politique de l'Europe post-chrétienne, trajectoire qui vient à
présent baigner les rives de la conscience musulmane européenne :
la perte du sens, la perte de l'être et la perte de sa destinée.
Dans une analyse d'inspiration heideggerienne mais adaptée à notre
univers de référence, nous reprenons une partie du constat dressé
par le philosophe allemand. Pour le dire simplement et de manière
accessible, nous pouvons nous faire une idée relativement claire de
ce qu'est la perte du sens chez un peuple, nous dirions aujourd'hui à
l'échelle transnationale, dans l'usage qu'il fait de ses mots et de
sa langue. En contexte musulman francophone, cette perte du sens se
traduit dans l'usage de termes interchangeables et vidés de leur
substance sémantique. Nous pourrions multiplier les exemples :
deux ou trois suffiront à nous en convaincre. Le terme de théologie,
qui signifie science ou discours sur Dieu (théo-Dieu, logos-raison,
discours) est aujourd'hui abondamment employé comme un synonyme de
religion et accessoirement de droit ou jurisprudence. C'est un terme
fourre-tout qui a pour ses adeptes le charme et l'élégance du
vocable académique mais dont le sens est déformé. Dans la
tradition musulmane, l'équivalent de théologie est le vocable de
i‘tiqãd
(contenu de la croyance en Allah, dogme) ou encore la discipline du
Tawhid Al-Asmâ wa-s-sifât (L'unicité
des Noms et Attributs de Dieu). Cette discipline se distingue de la
notion de fiqh,
de akhlaq
(morale ou éthique), de 'ibadat
(rites religieux), de mou'amallat
(affaires sociales ou temporelles),
etc.
Du bon et du
mauvais usage du littéralisme
Autre exemple d'un
terme dont le sens s'est perdu : celui de littéralisme. Ici c'est
l'usage qui a pervertit la compréhension du mot. Le littéralisme
est la base de tout langage et de toute communication. Nous
comprenons les mots dans leur littéralité. Le littéralisme est la
condition de possibilité d'un langage, c'est à dire d'une langue
vivante et support de communication entre les hommes. L'emploi
hyperbolique du terme pour désigner les courants néo-salafistes qui
ne tiendraient compte que du sens premier et immédiat des versets
coraniques indépendamment de leur contexte historique ou de leur
sens figuré, a fait perdre de vue une chose : le même usage du même
littéralisme est pratiqué sans vergogne par leurs détracteurs pour
valoriser les versets faisant l'éloge de la clémence, de
l'altruisme, de la quête du savoir, etc. Il y aurait donc un bon et
un mauvais usage du littéralisme et non plus un problème
intrinsèque du littéralisme. L'ironie de l'histoire voulant que les
partisans de la Réforme luthérienne aient été eux-mêmes de
fervents littéralistes qui luttaient contre l'usage métaphorique
excessif et généralisé des versets de la Bible. Passons. Nous
pourrions parler de l'emploi du terme de féminisme récemment
agrégée dans l'univers de référence islamique ou plutôt
musulman, sans tenir compte de sa généalogie moderniste et
antireligieuse ou anti-traditionnelle. Dans le même esprit, ceux qui
parlent de modernisation des pratiques de l'islam ou d'adaptation de
la religion à une culture ou un espace sécularisé semblent ignorer
les tenants et les aboutissants de ces notions complexes et
directrices en Europe. Nous ne gloserons pas sur la contradiction
profondément révélatrice consistant à plaider l'adaptation d'un
islam à la modernité et à la sécularisation tout en affirmant
rejeter la dissolution de la référence religieuse, qui est
précisément le sens de la notion de sécularisation.
Les paradoxes de
la religiosité musulmane
Cette disjonction
fondamentale des hommes avec le sens des mots et avec le langage, que
l'introduction exponentielle de termes anglo-saxons dans les langues
européennes traduit à un autre niveau, est elle-même le symptôme
d'un oubli global de l'être, d'une perte de sens ontologique de la
vocation humaine, écroulement lointain d'une civilisation plongée
dans les ténèbres de l'occultation de l'Être. Cette perte du sens
ontologique, nous pouvons l'identifier en ce qui concerne l'homo
islamicus comme une perte du sens de sa
religiosité consécutive à un retrait du Divin dans la pensée et
le discours et subséquemment dans une certaine forme de pratique
rituelle mécanique privée ou dénuée d'approfondissement
spirituel. Dieu a disparu du discours des musulmans car il a disparu
de leur pensée. Allah est devenu un nom qui les hantent et non
plus une Lumière qui les habitent et, un peu à l'image d'une partie
de la communauté juive, un Dieu au nom qu'on ne mentionne pas, qu'on
ne connait plus. Il va sans dire que ce que nous appelons
«connaissance» n'est qu'un mode de l'appréhension et de la
suggestion intuitive et spirituelle, Dieu se soustrayant par
définition aux canons étroits de la connaissance tels qu'ils ont
été établis par le scientisme européen et l'idéalisme allemand.
«Les imaginations ne peuvent
l'atteindre et les intelligences ne peuvent le concevoir».
La méconnaissance quasi complète de Dieu chez une partie importante
de nos contemporains musulmans suffirait, me semble-t-il, à
comprendre l'ampleur du désastre que nous vivons et qui engage
l'avenir et le sens de la présence musulmane en France.
Les multiples
modalités de la connaissance divine
Lorsque nous parlons
de méconnaissance de Dieu, cela recouvre l'ignorance à peu près
totale de la théologie islamique, les noms et les attributs divins,
ce qu'ils impliquent, la méditation sur l'épopée muhammadienne
(sira) et
plus globalement sur la destinée humaine, et, enfin, l'absence de
fréquentation de la présence divine dans l'accomplissement des
rites, qui sont des modes de rencontre et d'accès privilégiées
auprès Allah (Exalté-soit-Il), à commencer par la prière
rituelle, la visite des mosquées, l'évocation de Dieu dans le
rappel (dhikr),
l'invocation qui établit un dialogue permanent entre l'homme et
Dieu, le jeûne, et sans oublier bien évidemment la lecture assidu
du Coran, qui n'est autre que le Verbe divin révélé sous sa forme
ultime et définitive à l'humanité entière, et la réflexion
profonde du sens de ses versets.
Toutes ces modalités nombreuses et
toutes essentielles constituent la voie royale d'accès à Dieu car
elles sont la praxis
consacrée par Lui. Cette expérience de la présence divine est,
dans son polymorphisme même, un préalable indispensable pour mener
à bien cette entreprise de reconnexion à Dieu qui fait
actuellement défaut dans les consciences musulmanes contemporaines.
Ayant perdu le sens de l'être, et corrélativement celui des choses,
des mots et des idées, pente fatale de l'homme prométhéen dont
nous héritons aujourd'hui, l'homo
islamicus s'est retrouvé piégé dans
un vide de la pensée dont il peine à sortir quand bien même il en
aurait conscience, ce qui semble ne pas être le cas.
Replacer Dieu au
centre de la révolution religieuse
Ce constat tragique,
eu égard aux enjeux cruciaux dont nous parlions, ont débouché sur
la troisième et ultime perte qui est celle de la destinée. La crise
fatale de la conscience musulmane contemporaine et l'angoisse
profonde qui en jaillit trahit dans son effroi même l'incapacité à
saisir le sens de sa destinée, à retrouver le lit du fleuve qui l'a
porté vers les flots tumultueux de l'histoire, à en embrasser le
courant et à s'orienter courageusement et avec droiture vers les
chemins qui doivent la mener vers son terme. Ce constat qui n'est pas
autre chose qu'un acte d'accusation de la conscience religieuse
portée contre elle-même indique cependant, dans sa faillite même,
la voie de sa propre résolution qui est la voie radicale dont nous
parlions. Seule une révolution spirituelle de nature religieuse
impliquant la conscience la plus intense de la Divinité (Al
Ila') et le sens aigu de sa nature et
de son Être peuvent provoquer un renversement complet de situation
et offrir un espoir sérieux et authentique à notre commune
condition humaine. Refaire
de Dieu une référence de la pensée contemporaine en opérant un
renversement principiel de la perspective nihiliste post-moderne,
telle est la seule destinée envisageable pour les fidèles de
l'ultime religion monothéiste, la seule qui ait un sens véritable,
la seule qui entre en résonance complète avec le désespoir
contemporain d'un continent spirituel littéralement à l'agonie et
qui réclame du tréfonds de son âme la possibilité de revoir la
lumière et d'entrevoir le Visage de l'Origine (Al
Awwal)
et de l'Ultime infini (Al
Akhir).
Citons ces mots très justes d'Adrien Candiard, chercheur dans un
institut dominicain et auteur du livre «Comprendre l’Islam –
ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien», qui a su saisir avec
acuité la puissance et la profondeur de la religiosité qui se
dégage de la prière. «Je
crois,
écrit-il, qu’il
existe dans la tradition musulmane une radicalité plus profonde,
plus authentique, qui peut être (…) une radicalité spirituelle:
la recherche de Dieu en soi, la rencontre de Dieu dans la prière
personnelle».
En
soi, l'islam est une révolution spirituelle perpétuelle qui replace
en permanence le sujet humain face à son Principe, qui le recentre
et lui offre de ce fait la possibilité d'un mouvement, d'une
trajectoire et lui dessine une orbite qui n'est qu'une autre manière
de désigner l'accomplissement de sa destinée.
Les impasses
existentielles de la oumma
française
C'est
également le sens du khilafa
(vice-gérance, succession) primordial évoqué par le Coran,
honteusement détourné par les vicissitudes de l'histoire en une
soif de suprématisme politique dénuée de toute considération
divine, de toute pensée et de toute perspective qui soit digne du
rôle et du statut de l'homme attribués par le Créateur. Il est
paradoxal de constater que la communauté musulmane française, par
la faiblesse de sa condition socio-économico-culturelle, se soit
transmuée, de sa fonction d'axe de symétrie reliant la verticalité
centripète du message divin à l'horizontalité historique et
anthropologique de son époque, en point de fixation et d'abcès
centrifuge éloignant les hommes de la médiation du Message. La
oumma
française s'est coupée de sa trajectoire chrono-spirituelle en se
constituant elle-même comme un objet propre et différenciée de la
condition humaine de ses contemporains, même si ces derniers ont
contribué pour beaucoup à cette marginalisation. Attachée à
défendre exclusivement ses propres intérêts temporels, matériels,
sociaux et politiques alors même que ces derniers constituent en son
sein des levains de division, de dissolution et d'atomisation, la
oumma
française a dédaigné d'accomplir sa vocation qui est la condition
de possibilité de son unification et le sens de sa destinée
religieuse : réaliser l'appel solennel du monothéisme, initier
en le renouvelant le processus de dévoilement de la sacralité
divine institué dans la proposition religieuse de l'islam.
Renouer avec la
théologie islamique
Cette révolution religieuse, on l'aura
compris, excède de toutes parts les limites étriquées de toute
tentative de réforme qui ne placera pas Dieu et la question
théologique au cœur de son projet. Il n'est plus question de
juridique ou d'éthique : ces deux disciplines ont perdu tout
leur sens, privées de leur fondement, de leur Principe.
L'investissement des efforts en ce domaine doivent être complets.
Théologie spéculative (théorique) et théologie mystique (fondée
sur la pratique spirituelle) doivent être conjuguées ensemble pour
éviter le double écueil des conjectures abstraites de la pensée,
d'une part, et des illuminations secrètes, et donc inappropriables,
du cœur, d'autre part. Une pensée théologique conséquente doit
émerger de ces efforts. Un telle refondation de la pensée
théologique serait de nature à permettre à son tour une production
de la pensée conceptuelle nourrie de la Weltanschauung
islamique et qui offrirait un nouveau souffle à la pensée
occidentale elle-même, dès lors qu'elle éviterait tous les pièges
et les impasses aporétiques de la philosophie. Bien sûr, un tel
projet ne doit pas être pris à la légère et doit être pesé à
sa juste mesure. Les travaux de Tareq Oubrou constituent à ce jour
la base la plus solide de cette démarche théologique. Une
orientation exclusive de l'imam de Bordeaux, en ce domaine
fondamental, ouvrirait la voie à une école de pensée ou à tous le
moins à une dynamique intellectuelle prometteuse, à condition
d'éviter la dispersion médiatique sur toutes sortes de sujets qui
apparaissent seconds, dispersion dictée par la pression de la
société française qui réclame des changements.
Des figures plus
jeunes telles que Mohamed Bajrafil peuvent également apporter à
moyen ou long terme une contribution décisive sur ce point. Une
synergie intellectuelle qui décloisonnerait la question de Dieu d'un
fiqh
mortifère pour revivifier la pensée de l'islam qui était à la
base l'essence de la notion de fiqh
permettrait,
à n'en pas douter, l'éclosion de nombreux autres talents.
Maîtrise
des passions et apprentissage de la justice
Un
dernier point nous semble indispensable à mentionner. Personne ne
peut occulter une révolution religieuse de cette nature mais une
révolution spirituelle n'est pas une pure abstraction. Elle
s'incarne dans les Hommes qui la portent et pour ce faire, une telle
incarnation, dans l'exemplarité qu'elle promet et l'édification
qu'elle offre, doit s'accompagner chez ses auteurs d'une éthique du
comportement qui soit fondée sur la maîtrise des passions. Ce sujet
mérite à lui seul un long développement qui excède les limites de
cet article mais que nous ne pouvons pas ne pas mentionner. Le
facteur humain explique en grande partie la stagnation et
l'immobilisme des communautés musulmanes contemporaines et les idées
ne déterminent pas tout, loin s'en faut. Le bon sens inné de la
fitra
(prédisposition naturelle) sait éviter d'instinct les absurdités
sémantiques fussent-elles maquillées de la plus séduisante des
rhétoriques. En ce sens, la gestion apaisée des émotions, des
haines, du ressentiment ou de l'enthousiasme si caractéristiques de
nos coreligionnaires sera la meilleure garantie d'une préservation
de toute forme de manipulation d'où qu'elle vienne. Enfin,
l'acquisition d'une culture solide de la justice, de ce qu'est le
juste et de ce qu'il n'est pas nous délivrera des déviances nées
de l'exacerbation pathologique de la situation de dominés qui cèdent
trop volontiers à la tentation de se rêver en dominants. En somme,
l'émergence d'une culture de la responsabilité du sujet en lieu et
place d'un pathos égoïste et stérile de l'individu.