samedi 18 février 2017

Parution du livre "Le goût de l'inachevé"



Le livre est disponible en pré-commande immédiatement sur ce lien :   

 

Voilà c'est officiel. Je vous annonce la sortie de mon livre "Le goût de l'inachevé" prévue le 6 mars prochain. Il s'agit de mon premier ouvrage. Ce livre est particulier dans la forme comme dans le fond. Ceux qui me lisent sur mon blog depuis des années sauront de quoi je parle. Pour tous les autres, ce livre sera une surprise, bonne ou mauvaise, je vous laisserai le soin d'en décider.



Que dire d'autre ? Il s'agit d'un recueil d'aphorismes de 216 pages distribués en cinq parties et qui traitent de très nombreux thèmes (amour, politique, foi, morale, psychologie, etc). L'avantage est qu'on peut lire cet ouvrage à n'importe quel endroit et le refermer à n'importe quel autre. Autre chose : j'ai fais le choix difficile mais important pour moi de l'auto-édition pour conserver mon entière liberté éditoriale sur ce projet. Ce livre n'existera donc que par votre concours actif, vos relais et vos partages. 


Vous le recevrez quelques jours après la date de publication.

Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à mes amis Sami, Khalid et Evren (ils se reconnaîtront) sans le concours desquels ce livre n'aurait pu paraître aussi rapidement. 

Je vous en souhaite d'ores et déjà une excellente lecture et reste disponible pour vos éventuelles questions. 


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lundi 13 février 2017

Ce qu'est l'Homme accompli


La pureté ou la folie sur le chemin de la pureté...

La raison observe, décrit, évalue, calcule et analyse les choses. Les opérations rationnelles se définissent comme une appréhension de la chose et non une saisie de l'être car la raison ne s'empare que des formes, des idées. Le cœur seul saisit l'être là où il se trouve, sans médiation. Si le savoir offrait le salut de l'âme, l'homme adamique qui avait reçu la connaissance de toutes choses n'aurait pas chuté et quitté le jardin primordial. La croyance se définit comme une vision de l'être au-delà de l'apparence phénoménale, un acte de confiance marqué du sceau de la plénitude car la pensée ne peut accéder directement à Dieu. Dieu ne peut être pensé, au sens entier du mot penser, tout au mieux peut-il être deviné, suggéré, approché par l'esprit. Toute tentative de penser pleinement Dieu mène inexorablement vers la folie car il est de toute nécessité que Dieu ne prenne place qu'en un lieu convenable, c'est à dire purifié. Or, l'homme ne pouvant s'arrêter de penser, mêlant et combinant successivement le pur et l'impur, le faux et le vrai, l'illusoire et l'authentique, un tel espace ne permet pas d'accueillir en son sein la présence du Divin, et toute tentative d'y parvenir conduit l'homme à la déchéance. La connaissance de Dieu est également impossible par la saisie idéelle, nous ne l'ignorons pas, pour des raisons évidentes tenant à l'insaisissable complexité de la nature divine, infinie et absolue. Le cœur, pour sa part, a néanmoins les caractéristiques lui permettant de recueillir la présence divine comme un temple bâtit à cette fin, une terre portant en germe le souffle de vie du Vivant. La religion est donc ce médium unique d'accès à Dieu pour le cœur, à travers la Parole et le rite. Le Livre de la vie, qui regroupe la Parole du Vivant, est le Codex infinitum qui préside à la destinée du monde. 


Nous pouvons en conclure que la croyance est, sous ce rapport de la connaissance de Dieu, supérieure à la connaissance générale car elle en est la condition de possibilité dans la mesure où elle fait retour vers le principe fondateur de toute connaissance, sa source unique, le Grand Dispensateur dont elle recueille et conserve le nectar sacrée du savoir au sein de la raison qui n'est autre que le réceptacle créé à cet effet. La croyance est le mode d'appréhension du cœur, la connaissance, qui est saisie objective des choses formalisées par l'idée, le mode d'appréhension de la raison. La conjugaison des deux modalités de la connaissance permet à l'homme adamique d'accéder à sa réalisation en tant qu'homme accomplie ou complet, que la tradition musulmane identifie sous le vocable de al insan al kamil.  

mardi 7 février 2017

L'avenir des musulmans en France



En prenant la plume ce soir, j'envisageais d'intituler ce texte l'avenir du réformisme musulman, à la suite d'un colloque qui lui a été consacré récemment. Mais très vite, il m'est apparu que le véritable sujet n'était pas celui-ci, pas plus qu'il ne s'agissait de l'avenir de l'islam en France, bien qu'un lien évident les reliait. C'est un tout autre problème que nous avions à l'esprit et que nous soulevons en ces termes et par cette dénomination : quel sera l'avenir des musulmans en France ? L'islam étant l'affaire exclusive de Dieu, le sort qui sera réservé aux musulmans sera avant toute chose celui qu'ils se réserveront eux-mêmes. Qu'entendons-nous par là ? C'est très simple. Pour bon nombre de Français de confession musulmane, il n'y a plus d'alternative possible. Les crises profondes traversées par le monde musulman, qui a trouvé des échos violents jusqu'en Europe, n'a fait que précipiter un questionnement existentiel sur leur condition de croyant, questionnement initié historiquement depuis bien longtemps par la conscience musulmane et qui n'a pas épargné les fidèles français et francophones de l'islam. Tout concourait à les mener vers cette voie du questionnement profond. L'immense retard culturel des populations majoritaires d'Afrique du Nord, qui n'ont pas su se réveiller de leur long sommeil historique ; le fossé intergénérationnel ; le choc des convictions religieuses déployé dans un environnement national d'une hostilité unique en Europe quant au rapport à la foi ; les affirmations identitaires exacerbées entre néo-nationalisme fantasmé et wahhabisme exporté ; les conflits sociaux et plus récemment, les conflits intersexuels : tout ces nombreux facteurs coercitifs et les multiples effets qu'ils ont engendré ont mené deux générations de musulmans a opté pleinement pour l'option d'une réforme de l'islam.

La réforme expliquée par les réformistes musulmans
Certains définissent cette option comme l'abandon de pratiques culturelles jugées rétrogrades ; d'autres parlent de redéfinir les priorités islamiques des musulmans (éducation, accès au savoir, action social à haute valeur éthique ajoutée). Il y aussi les partisans d'une refonte du droit et de la jurisprudence musulmane (fiqh). Ou encore le segment le plus extrémiste des partisans du réformisme qui prône une sortie déguisée de l'islam par la médiation d'un individualisme laïcisé devant les mener, selon leurs termes, à une libération de la raison enfermée dans le dogme, et à l'instauration d'un humanisme. Pour la totalité de ces divers partisans de la réforme, un aggiornamento de l'islam lui permettra une intégration profonde dans le monde moderne et sécularisé de l'Europe et lui offrira, par conséquent, l'espoir d'un avenir durable. 


Des voix intellectuelles comme Tareq Oubrou estiment, à raison selon nous, que penser la réforme en terme de droit et de jurisprudence n'est pas à la mesure de la situation qui exige un changement complet de paradigme, devant se traduire par une théologie de l'altérité selon ses termes, pour repenser l'islam et les défis qui l'attendent à notre époque régie de toutes parts par la notion de complexité pour paraphraser Edgar Morin. Effectivement, la suprématie du droit musulman qui n'a pas, jusqu'à ce jour, été détrônée des études islamiques, est une difficulté majeure qui masque les véritables enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Vers un cinquième madh'ab européen ?
Les réformistes musulmans qui ne prônent pas de rupture définitive avec l'héritage islamique n'en retiennent pourtant que le fiqh et n'envisagent cette réforme qu'en terme de normativité, autrement dit plaident pour un nouveau formalisme juridique adapté à notre époque, tout en prétendant refuser une triple impasse qu'ils définissent ainsi : l'enfermement dans des traditions passées (traditionnalisme aveugle), l'importation d'une compréhension islamique étrangère et inadaptée (exemple : wahhabisme), ou la dissolution totale des préceptes remplacés par un lien religieux sentimental. Un refus qui culminerait vers une autre proposition : poser les outils qui permettraient la fondation d'une nouvelle école jurisprudentielle (madh'ab) européenne inspirée historiquement par l'Espagne andalouse et agrémentée de nouveaux avis juridiques contemporains. 


Hélas, cette option traduit certainement le désarroi le plus profond de la pensée musulmane contemporaine qui semble condamnée à deux options : le renouvellement formel et artificiel du discours et de la praxis islamique via la perpétuation de fatawat (avis juridiques) envisagées comme panacée islamique ou bien la rupture religieuse préparée par des élites post-musulmanes converties au sécularisme européen. Il y a pourtant une autre voie, et à notre sens la seule qui soit suffisamment radicale pour répondre aux vraies questions qui se posent aux musulmans, et surtout par-delà eux, à l'ensemble de leurs contemporains. Nous y viendrons. Avant cela, il est indispensable de poser sur la table certains préliminaires qui éclaireront mieux la nature de cette voie radicale que nous estimons inévitable.

La perte du sens, de l'être et de la destinée
Pour saisir la profondeur et la complexité d'une voie qui par nature ne peut-être que radicale, il suffit de prendre conscience de la triple perte consécutive qui a déterminé la trajectoire philosophique et politique de l'Europe post-chrétienne, trajectoire qui vient à présent baigner les rives de la conscience musulmane européenne : la perte du sens, la perte de l'être et la perte de sa destinée. Dans une analyse d'inspiration heideggerienne mais adaptée à notre univers de référence, nous reprenons une partie du constat dressé par le philosophe allemand. Pour le dire simplement et de manière accessible, nous pouvons nous faire une idée relativement claire de ce qu'est la perte du sens chez un peuple, nous dirions aujourd'hui à l'échelle transnationale, dans l'usage qu'il fait de ses mots et de sa langue. En contexte musulman francophone, cette perte du sens se traduit dans l'usage de termes interchangeables et vidés de leur substance sémantique. Nous pourrions multiplier les exemples : deux ou trois suffiront à nous en convaincre. Le terme de théologie, qui signifie science ou discours sur Dieu (théo-Dieu, logos-raison, discours) est aujourd'hui abondamment employé comme un synonyme de religion et accessoirement de droit ou jurisprudence. C'est un terme fourre-tout qui a pour ses adeptes le charme et l'élégance du vocable académique mais dont le sens est déformé. Dans la tradition musulmane, l'équivalent de théologie est le vocable de i‘tiqãd (contenu de la croyance en Allah, dogme) ou encore la discipline du Tawhid Al-Asmâ wa-s-sifât (L'unicité des Noms et Attributs de Dieu). Cette discipline se distingue de la notion de fiqh, de akhlaq (morale ou éthique), de 'ibadat (rites religieux), de mou'amallat (affaires sociales ou temporelles), etc.

Du bon et du mauvais usage du littéralisme
Autre exemple d'un terme dont le sens s'est perdu : celui de littéralisme. Ici c'est l'usage qui a pervertit la compréhension du mot. Le littéralisme est la base de tout langage et de toute communication. Nous comprenons les mots dans leur littéralité. Le littéralisme est la condition de possibilité d'un langage, c'est à dire d'une langue vivante et support de communication entre les hommes. L'emploi hyperbolique du terme pour désigner les courants néo-salafistes qui ne tiendraient compte que du sens premier et immédiat des versets coraniques indépendamment de leur contexte historique ou de leur sens figuré, a fait perdre de vue une chose : le même usage du même littéralisme est pratiqué sans vergogne par leurs détracteurs pour valoriser les versets faisant l'éloge de la clémence, de l'altruisme, de la quête du savoir, etc. Il y aurait donc un bon et un mauvais usage du littéralisme et non plus un problème intrinsèque du littéralisme. L'ironie de l'histoire voulant que les partisans de la Réforme luthérienne aient été eux-mêmes de fervents littéralistes qui luttaient contre l'usage métaphorique excessif et généralisé des versets de la Bible. Passons. Nous pourrions parler de l'emploi du terme de féminisme récemment agrégée dans l'univers de référence islamique ou plutôt musulman, sans tenir compte de sa généalogie moderniste et antireligieuse ou anti-traditionnelle. Dans le même esprit, ceux qui parlent de modernisation des pratiques de l'islam ou d'adaptation de la religion à une culture ou un espace sécularisé semblent ignorer les tenants et les aboutissants de ces notions complexes et directrices en Europe. Nous ne gloserons pas sur la contradiction profondément révélatrice consistant à plaider l'adaptation d'un islam à la modernité et à la sécularisation tout en affirmant rejeter la dissolution de la référence religieuse, qui est précisément le sens de la notion de sécularisation.

Les paradoxes de la religiosité musulmane
Cette disjonction fondamentale des hommes avec le sens des mots et avec le langage, que l'introduction exponentielle de termes anglo-saxons dans les langues européennes traduit à un autre niveau, est elle-même le symptôme d'un oubli global de l'être, d'une perte de sens ontologique de la vocation humaine, écroulement lointain d'une civilisation plongée dans les ténèbres de l'occultation de l'Être. Cette perte du sens ontologique, nous pouvons l'identifier en ce qui concerne l'homo islamicus comme une perte du sens de sa religiosité consécutive à un retrait du Divin dans la pensée et le discours et subséquemment dans une certaine forme de pratique rituelle mécanique privée ou dénuée d'approfondissement spirituel. Dieu a disparu du discours des musulmans car il a disparu de leur pensée. Allah est devenu un nom qui les hantent et non plus une Lumière qui les habitent et, un peu à l'image d'une partie de la communauté juive, un Dieu au nom qu'on ne mentionne pas, qu'on ne connait plus. Il va sans dire que ce que nous appelons «connaissance» n'est qu'un mode de l'appréhension et de la suggestion intuitive et spirituelle, Dieu se soustrayant par définition aux canons étroits de la connaissance tels qu'ils ont été établis par le scientisme européen et l'idéalisme allemand. «Les imaginations ne peuvent l'atteindre et les intelligences ne peuvent le concevoir». La méconnaissance quasi complète de Dieu chez une partie importante de nos contemporains musulmans suffirait, me semble-t-il, à comprendre l'ampleur du désastre que nous vivons et qui engage l'avenir et le sens de la présence musulmane en France.

Les multiples modalités de la connaissance divine
Lorsque nous parlons de méconnaissance de Dieu, cela recouvre l'ignorance à peu près totale de la théologie islamique, les noms et les attributs divins, ce qu'ils impliquent, la méditation sur l'épopée muhammadienne (sira) et plus globalement sur la destinée humaine, et, enfin, l'absence de fréquentation de la présence divine dans l'accomplissement des rites, qui sont des modes de rencontre et d'accès privilégiées auprès Allah (Exalté-soit-Il), à commencer par la prière rituelle, la visite des mosquées, l'évocation de Dieu dans le rappel (dhikr), l'invocation qui établit un dialogue permanent entre l'homme et Dieu, le jeûne, et sans oublier bien évidemment la lecture assidu du Coran, qui n'est autre que le Verbe divin révélé sous sa forme ultime et définitive à l'humanité entière, et la réflexion profonde du sens de ses versets. 


Toutes ces modalités nombreuses et toutes essentielles constituent la voie royale d'accès à Dieu car elles sont la praxis consacrée par Lui. Cette expérience de la présence divine est, dans son polymorphisme même, un préalable indispensable pour mener à bien cette entreprise de reconnexion à Dieu qui fait actuellement défaut dans les consciences musulmanes contemporaines. Ayant perdu le sens de l'être, et corrélativement celui des choses, des mots et des idées, pente fatale de l'homme prométhéen dont nous héritons aujourd'hui, l'homo islamicus s'est retrouvé piégé dans un vide de la pensée dont il peine à sortir quand bien même il en aurait conscience, ce qui semble ne pas être le cas.

Replacer Dieu au centre de la révolution religieuse
Ce constat tragique, eu égard aux enjeux cruciaux dont nous parlions, ont débouché sur la troisième et ultime perte qui est celle de la destinée. La crise fatale de la conscience musulmane contemporaine et l'angoisse profonde qui en jaillit trahit dans son effroi même l'incapacité à saisir le sens de sa destinée, à retrouver le lit du fleuve qui l'a porté vers les flots tumultueux de l'histoire, à en embrasser le courant et à s'orienter courageusement et avec droiture vers les chemins qui doivent la mener vers son terme. Ce constat qui n'est pas autre chose qu'un acte d'accusation de la conscience religieuse portée contre elle-même indique cependant, dans sa faillite même, la voie de sa propre résolution qui est la voie radicale dont nous parlions. Seule une révolution spirituelle de nature religieuse impliquant la conscience la plus intense de la Divinité (Al Ila') et le sens aigu de sa nature et de son Être peuvent provoquer un renversement complet de situation et offrir un espoir sérieux et authentique à notre commune condition humaine. Refaire de Dieu une référence de la pensée contemporaine en opérant un renversement principiel de la perspective nihiliste post-moderne, telle est la seule destinée envisageable pour les fidèles de l'ultime religion monothéiste, la seule qui ait un sens véritable, la seule qui entre en résonance complète avec le désespoir contemporain d'un continent spirituel littéralement à l'agonie et qui réclame du tréfonds de son âme la possibilité de revoir la lumière et d'entrevoir le Visage de l'Origine (Al Awwal) et de l'Ultime infini (Al Akhir). 


Citons ces mots très justes d'Adrien Candiard, chercheur dans un institut dominicain et auteur du livre «Comprendre l’Islam – ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien», qui a su saisir avec acuité la puissance et la profondeur de la religiosité qui se dégage de la prière. «Je crois, écrit-il, qu’il existe dans la tradition musulmane une radicalité plus profonde, plus authentique, qui peut être (…) une radicalité spirituelle: la recherche de Dieu en soi, la rencontre de Dieu dans la prière personnelle». En soi, l'islam est une révolution spirituelle perpétuelle qui replace en permanence le sujet humain face à son Principe, qui le recentre et lui offre de ce fait la possibilité d'un mouvement, d'une trajectoire et lui dessine une orbite qui n'est qu'une autre manière de désigner l'accomplissement de sa destinée.

Les impasses existentielles de la oumma française
C'est également le sens du khilafa (vice-gérance, succession) primordial évoqué par le Coran, honteusement détourné par les vicissitudes de l'histoire en une soif de suprématisme politique dénuée de toute considération divine, de toute pensée et de toute perspective qui soit digne du rôle et du statut de l'homme attribués par le Créateur. Il est paradoxal de constater que la communauté musulmane française, par la faiblesse de sa condition socio-économico-culturelle, se soit transmuée, de sa fonction d'axe de symétrie reliant la verticalité centripète du message divin à l'horizontalité historique et anthropologique de son époque, en point de fixation et d'abcès centrifuge éloignant les hommes de la médiation du Message. La oumma française s'est coupée de sa trajectoire chrono-spirituelle en se constituant elle-même comme un objet propre et différenciée de la condition humaine de ses contemporains, même si ces derniers ont contribué pour beaucoup à cette marginalisation. Attachée à défendre exclusivement ses propres intérêts temporels, matériels, sociaux et politiques alors même que ces derniers constituent en son sein des levains de division, de dissolution et d'atomisation, la oumma française a dédaigné d'accomplir sa vocation qui est la condition de possibilité de son unification et le sens de sa destinée religieuse : réaliser l'appel solennel du monothéisme, initier en le renouvelant le processus de dévoilement de la sacralité divine institué dans la proposition religieuse de l'islam.

Renouer avec la théologie islamique
Cette révolution religieuse, on l'aura compris, excède de toutes parts les limites étriquées de toute tentative de réforme qui ne placera pas Dieu et la question théologique au cœur de son projet. Il n'est plus question de juridique ou d'éthique : ces deux disciplines ont perdu tout leur sens, privées de leur fondement, de leur Principe. L'investissement des efforts en ce domaine doivent être complets. Théologie spéculative (théorique) et théologie mystique (fondée sur la pratique spirituelle) doivent être conjuguées ensemble pour éviter le double écueil des conjectures abstraites de la pensée, d'une part, et des illuminations secrètes, et donc inappropriables, du cœur, d'autre part. Une pensée théologique conséquente doit émerger de ces efforts. Un telle refondation de la pensée théologique serait de nature à permettre à son tour une production de la pensée conceptuelle nourrie de la Weltanschauung islamique et qui offrirait un nouveau souffle à la pensée occidentale elle-même, dès lors qu'elle éviterait tous les pièges et les impasses aporétiques de la philosophie. Bien sûr, un tel projet ne doit pas être pris à la légère et doit être pesé à sa juste mesure. Les travaux de Tareq Oubrou constituent à ce jour la base la plus solide de cette démarche théologique. Une orientation exclusive de l'imam de Bordeaux, en ce domaine fondamental, ouvrirait la voie à une école de pensée ou à tous le moins à une dynamique intellectuelle prometteuse, à condition d'éviter la dispersion médiatique sur toutes sortes de sujets qui apparaissent seconds, dispersion dictée par la pression de la société française qui réclame des changements. 


Des figures plus jeunes telles que Mohamed Bajrafil peuvent également apporter à moyen ou long terme une contribution décisive sur ce point. Une synergie intellectuelle qui décloisonnerait la question de Dieu d'un fiqh mortifère pour revivifier la pensée de l'islam qui était à la base l'essence de la notion de fiqh permettrait, à n'en pas douter, l'éclosion de nombreux autres talents.

Maîtrise des passions et apprentissage de la justice
Un dernier point nous semble indispensable à mentionner. Personne ne peut occulter une révolution religieuse de cette nature mais une révolution spirituelle n'est pas une pure abstraction. Elle s'incarne dans les Hommes qui la portent et pour ce faire, une telle incarnation, dans l'exemplarité qu'elle promet et l'édification qu'elle offre, doit s'accompagner chez ses auteurs d'une éthique du comportement qui soit fondée sur la maîtrise des passions. Ce sujet mérite à lui seul un long développement qui excède les limites de cet article mais que nous ne pouvons pas ne pas mentionner. Le facteur humain explique en grande partie la stagnation et l'immobilisme des communautés musulmanes contemporaines et les idées ne déterminent pas tout, loin s'en faut. Le bon sens inné de la fitra (prédisposition naturelle) sait éviter d'instinct les absurdités sémantiques fussent-elles maquillées de la plus séduisante des rhétoriques. En ce sens, la gestion apaisée des émotions, des haines, du ressentiment ou de l'enthousiasme si caractéristiques de nos coreligionnaires sera la meilleure garantie d'une préservation de toute forme de manipulation d'où qu'elle vienne. Enfin, l'acquisition d'une culture solide de la justice, de ce qu'est le juste et de ce qu'il n'est pas nous délivrera des déviances nées de l'exacerbation pathologique de la situation de dominés qui cèdent trop volontiers à la tentation de se rêver en dominants. En somme, l'émergence d'une culture de la responsabilité du sujet en lieu et place d'un pathos égoïste et stérile de l'individu.