L'essence de
l'idolâtrie est la passion des grands Hommes. La vénération ou
l'enthousiasme qu'ils suscitent est cette indemnité que les faibles
leur versent en compensation de leur impuissance à saisir Dieu en
lui-même et sans autre intermédiaire que Lui-même. La
multiplication des médiations dans notre accès à Dieu témoigne de
cette entreprise de confiscation du Divin et de ce transfert de la
sainteté de Dieu vers ses créatures. Là où il y avait signe et
manifestation, nous avons sanctuarisé, c'est à dire figer Ce qui
par essence ne pouvait être réduit à quelque expression que ce
soit. La sacralisation de la nature, la consécration des grands
Hommes ou de certains idéaux sont les formes les plus courantes de
cette idolâtrie. Elles expriment la déchéance de l'Homme incapable
de se hisser à la hauteur de la glorification exclusive de l'Unique
Être digne de vénération, Celui dont on ne peut mentionner le nom
sans être pris d'un frissonnement que seule la Grandeur peut
inspirer. Toute la mission des Messagers aura été de nous orienter
vers ce théocentrisme radical que nous avons trop souvent hélas
profané au profit (et au détriment) de figures religieuses dont la
vénération a été hautement investie au point d'occulter Dieu
lui-même, ce qui est paradoxal. D'une certaine manière, ce que nous
donnons aux uns ne peut-être que retiré aux autres ou plus
exactement à l'Autre et d'autant plus que ce retrait n'est plus
perçu car voilé par la passion. Nous devons apprendre à éduquer
nos émotions et à canaliser notre dévotion à Dieu seul en
considérant notre proximité au Prophète comme une fonction
équivalente à un véhicule éminent, une voie propice nous
conduisant à Dieu. Certains Hommes ne parviennent pas à accéder à
Dieu autrement que par ces multiples jalons médians et c'est leur
drame de ne pas le voir. Aux Hommes illustres, nous ne devons que le
respect et ce respect implique la considération de leur humanité,
dans toutes ses limites, ces mêmes limites d'où naquirent la beauté
de leurs actes. La réflexion teintée d'admiration qu'ils nous
inspirent est le meilleur témoignage que nous puissions leur
accorder. Idolâtrer les Hommes n'équivaut pas seulement à souiller
leur mémoire ou trahir leur pensée mais revient plus largement à
leur dénier toute forme d'humanité, à les déshumaniser, c'est à
dire à les exclure de notre condition humaine. En toutes choses,
l'excès est une inversion de l'Ordre.
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