L'humanisme
exclusif prétend à l'universel lors même qu'il n'en atteint pas le
principe mais en constitue l'inversion, du moins si l'on considère
que l'humain n'est pas à lui même son propre principe dès lors
qu'il est à la fois l'effet et la manifestation de Ce qui le
dépasse, de Ce qui le précède, de Ce qui lui fait face. Ce retour
à une transcendance est lui-même présent dans la démarche propre
à l'humanisme qui prétend transcender le particulier vers
l'universel, mais un universel paradoxalement indéfini, indéterminé
et sans réel contenu. L'universel humaniste souvent décrié comme
un particularisme théoriquement extrapolé (sous sa forme religieuse
– chrétienne : ethnique – européenne ; ou sociale -
bourgeoise) ne se réduit le plus souvent qu'à une pure réalité
factuelle – autrement dit le constat que les Hommes forment un
genre particulier qui les distinguent des plantes ou des animaux –
une réalité factuelle dont l'universel humaniste tire sa
substantifique moelle et qui ne fonde rien d'autre pour lui que le
droit de persévérer dans cette même réalité, de la reconduire
perpétuellement et ce droit est ce que l'humanisme nomme liberté. A
partir de ce postulat limité, l'humanisme comme variante d'une
pensée matérialiste et exclusivement immanente ne peut plus
revendiquer les moyens philosophiques de sa politique, se révélant
incapable de fonder une quelconque conception de la liberté car si
tout est in fine
déterminé par des lois sociales, matérielles, biologiques, lois
impersonnelles, impassibles et impartiales toujours déjà là, et si
l'Homme n'est lui-même qu'une espèce d'animal amélioré jeté au
monde par les caprices d'un hasard créateur, organisateur et
législateur drapé des attributs du Divin, où l'Homme puisera-t-il
cette fameuse liberté qui implique distance avec le monde, qui nous enjoints solennellement de le
transcender en conscience et dans notre pensée, et en un sens de lui
imposer notre propre discontinuité ?
Toute la question est là
et une partie de la réponse se trouve certainement à la fois dans
la conception que l'Homme peut se faire de la nature du Réel et de
la nature de la pensée ou de l'esprit. Il est certain que la pensée
est bien loin de se réduire à la seule activité logique, formelle,
calculatrice ou analytique que l'on attribue traditionnellement à la
raison. La conscience, l'intuition intellective, l'imagination et la
projection hors des limites sont autant de possibilités offertes à
l'esprit humain d'inventer, de créer, de transformer. Ces
manifestations dynamiques de l'esprit sont bien de nature à nous
libérer de la continuité circulaire et homogène d'un monde clos
sur lui-même et fermé à tout Infini, vision caractéristique de la
production de ce que nous désignons sous le vocable de
« raison mutilée », cette raison cloisonnée sur
elle-même et déconnectée des mondes. La pensée chez l'Homme
transcende la matière en lui
étant simultanément agrégée et c'est là tout le mystère de la
nature humaine, ce qui définit son scandale et lui offre, autre paradoxe, l'opportunité d'un salut.
Nous avons là le point de départ d'une
conception humaniste ancrée dans l'Origine et ouverte vers l'Infini,
le point de passage entre deux universaux terrestre et céleste,
inductif ou inférentiel et déductif, immanent et transcendant. Une
conception qui pense que l'on atteint l'universel en approfondissant
sa propre tradition, nourri de ses propres racines elles-mêmes
alimentées et abreuvées de la terre commune. De cette sève
matricielle nous puisons la force et l'énergie de notre
développement au point de voir notre tronc se raffermir, nos
branches s'élever vers les cieux, notre feuillage s'épaissir et nos
fruits s'établir. L'Homme est ce signe reliant Terre et Ciel et dans
ce signe se manifeste l'Un, Premier et Dernier, Apparent et
Invisible. C'est, à peu de chose près et en quelques mots, les
prémices de ce que nous pourrions nommer l'« humanisme
religieux ».
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