L’islam contemporain est aujourd’hui confronté à deux types d’extrémismes d’origine, de nature et de forme antagonistes, qui ne cessent de se nourrir en miroir, alimentant dans leurs développements néfastes toute une myriade de nouveaux conflits et de divisions au sein des communautés musulmanes occidentales. L’extrémisme puritain de type wahhabite est le plus connu de ces deux extrémismes, celui qu’on identifie le plus aisément tant sa doctrine et ses pratiques sociales s’illustrent par leur violence, leur rupture, leur hégémonisme destructeur.
Les dégâts durables de l’extrémisme wahhabite
Cette doctrine qui a essaimé dans le monde entier grâce aux mannes financières des pays du Golfe qui en ont fait leur outil de politique étrangère a créé toute sorte de conflits et généré une vague de violence dont on commence seulement à percevoir les effets. Même si la violence de sa forme et de son hétérogénéité ne lui a pas permis de trouver un terreau fécond à même de lui permettre de se développer durablement sur toutes les terres où il s’est greffé, la dialectique naturelle de sa violence ayant fini par se retourner contre ses promoteurs (« Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée », Évangile de Matthieu), les dégâts résultant de sa doctrine et de sa praxis demeurent considérables.
Ce type d’extrémisme, qui n’est pas nouveau dans l’histoire, s’est également illustré par son sectarisme intégral qui a excommunié ou diabolisé à peu près tous les autres courants de l’islam (soufisme, chiisme, ikhwanisme, etc) et s’est distingué formellement des autres courants de l’islam par son intensité et sa violence primaire, même s’il est important de souligner qu’il ne possède pas le monopole du sectarisme que l’on retrouve sous des formes diluées ou des degrés plus ou moins variés chez d’autres courants de l’islam contemporain. Cette forme prédominante de l’extrémisme étant clairement identifiée et déjà abondamment traitée dans de nombreux ouvrages, articles de presses, vidéos et émissions télévisuelles ou radiophoniques, il n’est donc pas utile de la développer davantage.
Convertir l’islam au dogme moderniste
C’est ce qui distingue radicalement l’entreprise libérale-réformiste de ses devancières : sa prétention à passer l’islam sous le spectre idéologique du modernisme
La curieuse synthèse entre Abduh et Arkoun
Représentants des classes moyennes ou supérieures, celles des centres urbains, diplômés, convertis au dogme de l’individualisme, au mantra de la déconstruction, adeptes des « sciences » humaines dont ils ne soulignent pas la non-neutralité ou ne semblent pas identifier l’orientation idéologique, ces partisans du libéral-réformisme se projettent dans un humanisme abstrait où l’islam, délesté de sa morale, de sa théologie, de sa Weltanschuung religieuse, ne subsisterait plus que sous la forme minimaliste d’une spiritualité ou croyance individuelle déconnectée de toute prétention universelle ou globale, voire d’un déisme interchangeable avec d’autres formes de déismes (philosophique ou post-chrétien). Prêts à tous les accommodements possibles susceptibles de leur offrir l’espoir d’une harmonisation sociale et surtout psychologique avec leurs compatriotes non-musulmans, dans un contexte de rejet et d’hostilité de la puissance publique et étatique à l’encontre de l’islam marqué par un anticléricalisme hérité de la Révolution, doublé d’un néo-colonialisme persistant et d’une paranoïa alimentée par les attentats, les tenants de ce mouvement ont procédé à la synthèse des thèses portées par l’agnosticisme séculier des nouveaux penseurs de l’islam et autres arkouniens dont ils sont les héritiers directs, avec l’ambition qui fut celle des islahistes et réformistes, notamment autour de la figure de Mohamed Abduh, mais une ambition reformulée et quasiment détournée. C’est ce qui distingue radicalement l’entreprise libérale-réformiste de ses devancières : sa prétention à passer l’islam sous le spectre idéologique de l’historicisme radical (arkounisme), de la sociologie politique (féminisme musulman) et de l’herméneutique (néo-réformisme), à le convertir au dogme moderniste, à ses piliers et à son projet d’émancipation de l’Homme de la tutelle des dogmes, des croyances, des institutions et des figures d’autorités religieuses pour lui offrir l’illusion d’un accomplissement individuel sous le sceau de la liberté et de la célébration œcuménique d’un humanisme obtenu au prix d’une révolte métaphysique contre Dieu.
Véritable cheval de Troie de la sécularisation de l’islam pensée et voulue par les élites françaises, le libéral-réformisme porte en lui la marque de ce projet d’autant plus subversif que son discours est véhiculé par des musulmans ou identifiés comme tels
Les trois illusions du libéral-réformisme
L’individu n’existe pas : tout Homme est à sa naissance l’héritier d’une histoire, le porteur d’un legs familial, l’addition de ce qui le précède et auquel lui-même apportera sa contribution positive ou négative. La mystique de la liberté est également un leurre : seul existe le libre-arbitre (jugement) et les conditions juridiques, politiques et économiques qui les déterminent, limitent autant qu’elles les garantissent, l’usage des libertés civiles. L’humanisme et l’apologie de l’Homme sont tout aussi illusoire. Vestige du christianisme paulinien, de la divinisation du Christ et de l’amour de l’Homme divin ou fils de Dieu, allégé au terme d’une sécularisation chrétienne de sa référence religieuse, l’humanisme, expression majeure de l’homme prométhéen, traduit le désarroi métaphysique et moral de l’homme moderne qui a tourné le dos à Dieu sans savoir vers qui ou quoi se tourner. L’humanisme du libéral-réformisme, qui se distingue nettement d’un humanisme religieux, traduit très bien cette rupture entre théocentrisme islamique et anthropocentrisme moderniste, et ce transfert de sacralité de l’un vers l’autre.
Privé de principe, de fondement, l’humanisme contemporain s’est pourtant rapidement dilué dans l’indifférence d’un hyper-individualisme de marché axé autour de la consommation et du libertarisme conçu comme modalité de gestion, par l’ivresse anesthésiante qu’il génère, de ce désarroi et de cette angoisse existentielle. Véritable cheval de Troie idéologique de la sécularisation de l’islam pensée et voulue par les élites françaises (Le rapport Karoui de l’institut Montaigne en est l’une des traductions), perdu dans des contradictions inextricables, le libéral-réformisme porte en lui la marque de ce projet d’autant plus subversif que son discours est véhiculé par des musulmans ou identifiés comme tels. L’ambiguïté religieuse de leur posture et la confusion théologique entretenues par ses acteurs participent manifestement d’une stratégie de contournement de la tradition orthodoxe, une approche frontale ayant peu de chance d’aboutir. C’est à ces deux formes d’extrémismes, de nature antagoniste et non réductibles l’une à l’autre, que sont aujourd’hui confrontés les musulmans de France. Si la première forme de cet extrémisme s’est essoufflé sans toutefois disparaître, la seconde a su habilement exploiter ses dérives pour entretenir sa propre image et son ambition de porter une voie alternative à la violence extrémiste véhiculée par le wahhabisme et ses formes sectaires dérivées. Une voie néanmoins toute aussi obscure et qui semble avoir substitué à la violence que nous mentionnions, sa propre subversion, qui n’est qu’une autre violence, une violence faite au sens, à la vérité des Textes et des sources. Une violence sournoise contre la sacralité qui dérange, qui perturbe le bon déroulement du projet moderniste et de son puissant avatar, le capitalisme de marché.
Surement un grand lecteur de Nawa-editions ce Fouad! Personnelment Avec la multiplication de ce type d'article, je percois mieux le l 'important travail intellectuel de fond qu'ont initié les auteurs de Nawa editions depuis des années (je les salut sachant qu'ils ont payé d'un engagement fort risqué à leurs époques, et qu'aujourd'hui c'est vue de + en + comme une évidence). le rapprochement réformisme-libéral avait été signalé par Ait Yahya dans son fiqh al waqi'. Que cela soit sur la participation aux elections, la démocratie, l'abstention, la critique radicale de la laïcité et de la modernité occidentale, l'attaque frontale faites aux mythes de la République, tout les bons esprits commencent à converger vers les mêmes conclusions. cela laisse espérer un bon renouveau de la oumma.
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