samedi 24 octobre 2020

L'avarice du pauvre



« Satan vous fait craindre la pauvreté et vous commande les actions blâmables ». Coran (2/268). 

« L'usage seulement fait la possession ». La Fontaine.

Il est une chose des plus détestables que notre société nous enseigne avec force et efficacité : l'avarice. Nous ne parlons pas de l'avarice des riches car chacun le sait, il n'est pas de fortune acquise de nos jours qui n'ait été bâtie dans une large mesure sur la pingrerie, la retenue impudique, la dissimulation fiévreuse, la saignée grise des portefeuilles. Comprendre que l'obsession du bien n'est pas le mobile de l'avare mais seulement la peur, la peur illusoire de perdre ce qu'il a amassé, la peur de disparaître dans le vide d'où son ombre l'a fait surgir, explique comment une société fondée sur la peur a pu engendrer une nation aussi prodigue d'avares et de cadavres errants, toujours en quête d'une âme à dépecer. Il est entendu que l'Homme des hautes sphères argentées, que l'on devine hissé au sommet d'une forteresse couleur de cendre, n'a pas seulement retenu ses prébendes en les ensevelissant loin du regard de ses victimes. Il y a bien plus dans le coffre-fort de ces fossoyeurs du genre humain qu'une montagne de billets, de bons au trésor, ou d'échéanciers usuraires. Ici gisent, dans le secret des murs bétonnés, la dépouille de ce qui fut jadis une âme, les restes nauséabonds d'un cœur humain autrefois nourri par le flux vivace de l'être. L'avare n'est avare de ses biens que parce qu'il est avare de lui-même, dans son identification funeste à l'avoir. Rien de bien surprenant. Autre est le danger auquel nous assistons quant cette avarice prend possession de l'âme des pauvres, de la gent modeste, de cette réserve de déshéritées aux rêves foudroyés, de ces vagabonds aux ambitions déchues, les pieds perdus dans ce monde mais le regard peuplant les cieux. Que ferons-nous quand les mains d'ivoires de ces manants à la vertu royale cesseront de donner ce qu'elles mêmes avaient reçues ? Les riches ne donnent pas, ils s'enrichissent jusque dans l'aumône qu'ils versent à leur amour propre. Cela est bien connu : ce sont les pauvres qui donnent car ce qu'ils offrent, dans le don, à un frère inconnu, à une sœur de fortune, à un autre Soi, est bien plus précieux qu'une bourse. Dans cet étrange holocauste qu'aucune raison n'a pu élucider, le pauvre fait le sacrifice de lui-même pour revivre dans l'âme d'autrui. En mourant à ses attaches terrestres, le gueux revit d'une résurrection si fracassante qu'elle en exige l'anonymat pour se garder des regards volés et indiscrets. C'est au fond la seule richesse que l'esprit consent à conserver car elle ne lui appartient pas, quelque chose que l'avare n'a jamais connu : la liberté.


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