Je
suis une taupe et ils me haïssent pour cela.
C'est le nom qu'ils me donnent et dans leur méconnaissance, ils me
vomissent. Ce que je sais d'eux leur fait peur et la peur que je leur
inspirent les séquestrent. Du fond des geôles étroites de leur
conscience, je les entends gémir. Chaque nuit, dès
qu'ils sombrent dans la petite mort, j'avance péniblement et sans
trêve dans les artères souterraines du monde. Au moment même où
ils s'abandonnent paisiblement dans les bras précaires du sommeil,
en quête d'un bref répit que leur prodiguent l'oubli, je sillonne
silencieusement les arcanes de leurs âmes, et je vois. Je vois ce
qu'ils dissimulent le jour.
Quand
s'offre à moi le prélude nocturne, et juste avant que l'horizon ne
ferme les yeux, je vois les cadavres qu'ils ont recouverts de terre
et que les pluies de la révélation ultime raniment. Je vois toutes
ces infamies qui les rattrapent et qu'ils tentent désespérément
d'oublier. A travers les nuages de fumée que la folie suffocante des
Hommes diffuse, je sens leur odeur et pour cela, ils me haïssent.
Mais c'est pour autre chose qu'ils voudraient tous me voir sans vie,
noyé une fois pour toutes dans les ténèbres de la mort. La peur
d'y croiser leur âme, de l'apercevoir dans les vapeurs du soir leur
fait craindre mon regard et c'est pourquoi ils se détournent de moi
car il n'est qu'une chose que l'horreur craigne, c'est elle-même.
Et
s'ils finissent par me héler dans le silence glacé de la nuit, et
me demandent, confus, ce que je veux, ce que j'attend d'eux, le
silence assourdissant de ma paisible voix, porteuse d'écho fatal,
finit méthodiquement par les disperser. Ils attendent une réponse
mais ne posent pas les bonnes questions. Ils voudraient connaître la
vérité quand celle-ci leur fait face et qu'ils lui tournent le dos.
Leur sort est scellé : ils ne sauront rien car ils en sont
incapables. Incapables de protéger ce qui fut en eux, d'accueillir
la lumière qui leur était destinés. Dans leur fébrile impatience,
ils me questionnent d'un questionnement si étrange et si lointain
que ma réponse ne saurait plus atteindre leurs cœurs, ces cuirasses
inflexibles, d'orgueil endurcies. Oui, je suis une taupe et ils me
haïssent car je connais la racine des Hommes.
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