dimanche 8 décembre 2019

La politique de l'esprit



La liberté ne peut pas être, en soi et seulement en soi, une valeur commune effective. La liberté ne fonde pas une société. Reconnaître la liberté comme état ontologique de l'être, et donc comme droit social de la personne, ne signifie pas former un projet de société. La liberté se vit individuellement. Si je reconnais la liberté comme valeur abstraite, cela ne suffit pas à créer les liens communs d'une société. Lorsque la liberté prend une valeur collective, c'est le plus souvent par la nature de sa structure communautaire (dans le cas d'une religion) ou par le fait que cette revendication à la liberté réunit des personnes revendiquant la même chose, donc par mimétisme. Si une assemblée réunissant des juifs, des catholiques, des protestants, des sunnites, des chiites et des athées militants peut se mettre d'accord sur le principe d'un droit individuel à la liberté, cet accord ne dépassera pas cette abstraction d'un seul iota car dans les faits, l'expression de chacune de ces libertés peut nier immédiatement l'autre dans son principe et dans son effet. Si des liens doivent se créer entre ces individus, ils ne pourront l'être nécessairement que dans un espace axiologique et idéologique désaffilié de tous ces univers de pensées, si tant est que cela soit même possible. Ou encore par la hantise d'un ennemi commun qui les réunissent provisoirement et leur fassent transcender leurs propres antagonismes. Ceci prouve que la liberté ne suffit pas à fonder une société et que bien souvent elle en dissout, à long terme, la condition de possibilité. Mais l'absence radicale de liberté est impensable pour l'Homme car elle participe de sa nature. Les tyrans eux-mêmes ne pourraient pas le nier si ce n'est le fait qu'ils en restreignent le champ d'application à leur seule personne, ce qui est le propre de la tyrannie. Il n'y a pas de réponse parfaite à la question qu'est-ce qui fait et fonde société. A une échelle métaphysique, cette question rejoint encore et toujours celle de la dialectique entre l'Un et le Multiple. Voir dans le multiple la manifestation de l'Un est une voie à même de nous fournir une solution humaine authentique et réaliste à cette question sociale. Mais cette approche implique une réalisation spirituelle et intellectuelle difficilement accessible au plus grand nombre. Or, sans cette conscience polymorphique de l'Un, l’idolâtrie sociale du Moi et du Même reprend ses droits et finit par imposer sa Force. Une forme métaphysique synthétique et redéfinie sur ses bases principielles seraient de nature à réunir les Hommes et à offrir, y compris aux plus fervents sceptiques les garanties d'une vie commune dès lors qu'elle s'appuierait sur la garantie réelle d'une liberté de conscience bien comprise. La liberté de conscience n'est pas une finalité en soi mais le moyen de rendre possible la rencontre, la discussion et la vie commune des Hommes dont les convictions vont jusqu'à se contredire et parfois même s'affronter. Une telle réalité ne peut advenir que par l'entremise d'une politique de l'esprit soutenue et mise en oeuvre par un Etat et des fonctionnaires formés et convaincus. Comprendre que cette liberté est la condition de possibilité d'une harmonisation sincère des esprits ; que la liberté de conscience authentique reflète, de ce point de vue, la manifestation de l'Un dans l'univers des existants ; et que si cette liberté ne fait que contenir virtuellement tous les existants dans sa manifestation, elle peut les réunir dans son principe, comprendre tout ceci est une condition indispensable à la mise en oeuvre d'une politique de l'esprit aussi ambitieuse. La liberté de conscience authentique est la possibilité spirituelle de cheminer et d'aller vers la rencontre de l'Unique. En ce sens, et en ce sens seulement, elle participe de la manifestation du sacré dans l'Homme.

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