La
liberté ne peut pas être, en soi et seulement en soi, une valeur
commune effective. La liberté ne fonde pas une société.
Reconnaître la liberté comme état ontologique de l'être, et donc
comme droit social de la personne, ne signifie pas former un projet
de société. La liberté se vit individuellement. Si je reconnais la
liberté comme valeur abstraite, cela ne suffit pas à créer les
liens communs d'une société. Lorsque la liberté prend une valeur
collective, c'est le plus souvent par la nature de sa structure
communautaire (dans le cas d'une religion) ou par le fait que cette
revendication à la liberté réunit des personnes revendiquant la
même chose, donc par mimétisme. Si une assemblée réunissant des
juifs, des catholiques, des protestants, des sunnites, des chiites et
des athées militants peut se mettre d'accord sur le principe d'un
droit individuel à la liberté, cet accord ne dépassera pas cette
abstraction d'un seul iota car dans les faits, l'expression de
chacune de ces libertés peut nier immédiatement l'autre dans son
principe et dans son effet. Si des liens doivent se créer entre ces
individus, ils ne pourront l'être nécessairement que dans un espace
axiologique et idéologique désaffilié de tous ces univers de
pensées, si tant est que cela soit même possible. Ou encore par la
hantise d'un ennemi commun qui les réunissent provisoirement et leur
fassent transcender leurs propres antagonismes. Ceci prouve que la
liberté ne suffit pas à fonder une société et que bien souvent
elle en dissout, à long terme, la condition de possibilité. Mais
l'absence radicale de liberté est impensable pour l'Homme car elle
participe de sa nature. Les tyrans eux-mêmes ne pourraient pas le
nier si ce n'est le fait qu'ils en restreignent le champ
d'application à leur seule personne, ce qui est le propre de la
tyrannie. Il n'y a pas de réponse parfaite à la question qu'est-ce
qui fait et fonde société. A une échelle métaphysique, cette
question rejoint encore et toujours celle de la dialectique entre
l'Un et le Multiple. Voir dans le multiple la manifestation de l'Un
est une voie à même de nous fournir une solution humaine
authentique et réaliste à cette question sociale. Mais cette
approche implique une réalisation spirituelle et intellectuelle
difficilement accessible au plus grand nombre. Or, sans cette
conscience polymorphique de l'Un, l’idolâtrie sociale du Moi et du
Même reprend ses droits et finit par imposer sa Force. Une forme
métaphysique synthétique et redéfinie sur ses bases principielles
seraient de nature à réunir les Hommes et à offrir, y compris aux
plus fervents sceptiques les garanties d'une vie commune dès lors
qu'elle s'appuierait sur la garantie réelle d'une liberté de
conscience bien comprise. La liberté de conscience n'est pas une
finalité en soi mais le moyen de rendre possible la rencontre, la
discussion et la vie commune des Hommes dont les convictions vont
jusqu'à se contredire et parfois même s'affronter. Une telle
réalité ne peut advenir que par l'entremise d'une politique de
l'esprit soutenue et mise en oeuvre par un Etat et des fonctionnaires
formés et convaincus. Comprendre que cette liberté est la condition
de possibilité d'une harmonisation sincère des esprits ; que la
liberté de conscience authentique reflète, de ce point de vue, la
manifestation de l'Un dans l'univers des existants ; et que si cette
liberté ne fait que contenir virtuellement tous les existants dans
sa manifestation, elle peut les réunir dans son principe, comprendre
tout ceci est une condition indispensable à la mise en oeuvre d'une
politique de l'esprit aussi ambitieuse. La liberté de conscience
authentique est la possibilité spirituelle de cheminer et d'aller
vers la rencontre de l'Unique. En ce sens, et en ce sens seulement,
elle participe de la manifestation du sacré dans l'Homme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire