Le
temps m'a pris ma vigueur et m'a ôté mes illusions. Il m'a
dépossédé de mes joies et m'a libéré de mes peines. Il m'a aussi
privé de mes rêves pour me conduire vers la Réalité. Le temps m'a
pris tout ce que j'aimais, m'a minutieusement arraché, une à une,
toutes les âmes qui ont un jour compté, les êtres chers dont les cœurs tressaillent et saignent à la moindre évocation. Tous ces
forfaits, le temps les a accomplis avec la froide détermination de
ceux qui ne renoncent jamais et arrivent à leur fin, lentement,
cruellement. De tout cela, le temps est coupable.
Et quels mots
l'accusé a-t-il prononcé pour sa défense ? « C'est
par générosité que je t'ai ôté tout ce que je pouvais pour
t'offrir tout ce que tu méritais. C'est par fraternité que je t'ai
libéré de tout ce qui te détournait de ta destinée pour t'élever
jusqu'à la puissance de mon impassibilité car chaque Homme est fils
de son temps. C'est par amour que je t'ai privé des êtres aimés et
de l'amour de la mort car Nul autre que Lui ne pourra éternellement
te donner ce que tu recherches, l'immuable félicité de connaître
Celui qui sait, Celui qui est, Celui qui aime. Tu n'aurais jamais pu
découvrir cet amour autrement que par l'expérience de la
perte radicale de tout ce qui est condamné à périr. Depuis,
et par la grâce de cette sainte remémoration, tu n'a cessé, de
grandir, de t'épanouir, et à présent, te voilà venu m'ôter
l'outil précieux qui faisait ma gloire : la limite. »
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