Voici quelques extraits d'un article de Yamin Makri sur les enjeux réels du débat entre partisans de la vision et du calcul, publié sur Globislam.
Impressionnant ! Impressionnant, le déferlement d’avis que nous entendons et que nous lisons sur cette question de l’annonce du début du Ramadan. On a l’impression de vivre un psychodrame, le Ramadan qui est une bénédiction que Dieu nous offre est dorénavant accueilli par l’angoisse de se trouver dans l’erreur et le stress d’une polémique exacerbée. Le mois de la rupture, du recueillement et de la solidarité en est déjà dénaturé.On polémique sur les 1 ou 2 jours où, parait-il, nous ne jeûnerions pas ensemble. Et on oublie les 28 ou 29 jours où nous serons inshallah tous réunis.
Vivre
ensemble dans le respect (pas seulement la tolérance) des
divergences et des pratiques différentes est à la fois une
bénédiction, une épreuve et des limites que Dieu nous impose. Ceci
afin que, tous, nous nous rendions compte que la vérité
n’appartient qu’à Lui. Un rappel salutaire pour se rappeler
l’humilité.
Et
c’est vraiment là, le véritable enseignement à retirer de cette
polémique : l’humilité et l’ouverture d’esprit. Car ni
l’observation ni la science ne nous protègera de manière radicale
de l’erreur.
Arrêtons
de croire que l’observation, la perception des choses est quelque
chose d’évident, de non négociable. Et arrêtons de croire que la
raison, le calcul quand ils sont posés comme principe ne peut
obligatoirement que nous réunir et n’aboutir qu’à la vérité.
Ne tombons dans aucun de ces deux pièges.
Dieu
nous demande en permanence de nous méfier de ce monde d’apparence
et du sensible. Il nous demande d’aller au-delà de ce qui est
perçu. Nous, les croyants, nous privilégions l’invisible, c’est
comme cela que Dieu nous qualifie dans le Coran :
« Ceux
qui croient à l’invisible, qui s’acquittent de la salât et qui
effectuent des œuvres charitables sur les biens que Nous leur avons
accordés. » (Al-Baqara, 2/3)
N’adorons
pas non plus notre raison ou le calcul scientifique. Ce ne sont que
des opérations humaines avec toutes les passions et toutes les
imperfections que nous reconnaissons chez l’humain. Poser le calcul
comme principe irrévocable et indiscutable, c’est oublier que ce
sont des êtres humains imparfaits et sujets à l’erreur qui
calculent
Aujourd’hui,
il existe différentes méthodes de calcul de la visibilité de la
lune, et chacune avec des critères spécifiques, qui font que, selon
telle ou telle méthode, les résultats peuvent différer.
L’observatoire national français lui-même adopte plusieurs
méthodes de calcul. Ainsi, quoi qu’on en pense le calcul de la
visibilité de la lune est tout aussi sujet à interprétation, et
donc tout aussi aléatoire, que la vision directe.
Le
Ramadan est d’abord le mois du Retour. Il s’agit de revenir et de
vivre selon les éléments naturels de la création, visible ou non.
Pour cela, jeûner c’est s’imposer des limites, se poser et quand
les passions se calment, il devient possible d’écouter son
prochain, d’écouter le monde puis de retrouver le chemin de Celui
Qui l’a créé.
Le
mois du Ramadan vient nous rappeler que nos mois s’établissent
selon le cycle de la lune, que les prières s’effectuent selon le
cycle solaire, que l’alternance jour-nuit a un sens
Ceux
qui voudraient que nous nous basions que sur le calcul pour jeûner
ou que sur un calendrier pour prier ne comprennent pas la profondeur
et l’enjeu du débat. Il voudrait le réduire en un combat
idéologique entre ceux qui seraient « éclairés » par
leur raison (les réformistes, les modernistes…) et ceux qui
seraient attaché à la littéralité du Texte (les
traditionnalistes, les dogmatiques…).
Le
débat n’est pas futile, il y a bien un enjeu de valeur qui se
pose : la question de la place de la raison, de la compréhension
du temps ou du sens donné à la création… Toutes ces questions
ont de réelles conséquences dans notre manière d’appréhender
les Textes mais aussi nos mondes.
L’un
des premiers objectifs de la civilisation de la modernité marchande
est celui de la redéfinition du temps. Car celui qui définira la
manière de réorganiser le temps sera celui qui définira sa manière
de concevoir le réel. Il imposera de fait ses valeurs.
Ce
n’est pas par hasard si, dans nos centres commerciaux, il n’existe
aucune fenêtre, aucune ouverture vers le ciel qui nous permettrait
de prendre en compte l’évolution du cycle solaire. Le supermarché
est un lieu ou on cultive l’insouciance du consommateur. Il doit
s’oublier car par son achat, il permettra la croissance adorée ;
et ce n’est qu’en sortant du supermarché, la nuit tombée, qu’on
prendra conscience qu’on vient de laisser passer la prière du
maghrib. Le soleil est notre rappel, incompatible avec la folie
consumériste
Et
ce n’est pas par hasard non plus, si dans nos écoles qui forment
les futurs producteurs et dans nos usines qui les encadrent, nous
trouvons des sonneries et des horloges à chaque couloir organisant
ainsi notre temps à la seconde près. Ce temps-là est comptabilisé,
il est capital car il définira la valeur et donc le profit des
produits vendus.
Marchandiser
ainsi le temps est incompatible avec celui du recueillement et de la
méditation, celui du recul nécessaire pour vivre… réellement.
Nous
sommes dans la même logique, la même aliénation quand certains
justifient (ouvertement ou non) l’annonce du début du ramadan par
le calcul dans le seul but de pouvoir mieux organiser le temps de
travail, les congés payés, les journées scolaires. L’impératif
productiviste de la rentabilité doit primer sur tout. Encore et
toujours. Et le culte islamique doit s’y intégrer, doit s’y
adapter. Aucune exception ne doit être tolérée…
Le
mois du ramadan, ce mois où les diables sont enchainés, ce mois où
Dieu rend l’acte de bien facile à réaliser, c’est le mois du
retour au temps concret de l’être adorateur connecté à
l’invisible pour délaisser celui de l’être marchandisé
connecté à sa raison instrumentale.
Article publié sur Globislam
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