dimanche 29 juin 2014

Divisions, divergences ou diversions ?

Voici quelques extraits d'un article de Yamin Makri sur les enjeux réels du débat entre partisans de la vision et du calcul, publié sur Globislam. 



Yamin Makri
Impressionnant ! Impressionnant, le déferlement d’avis que nous entendons et que nous lisons sur cette question de l’annonce du début du Ramadan. On a l’impression de vivre un psychodrame, le Ramadan qui est une bénédiction que Dieu nous offre est dorénavant accueilli par l’angoisse de se trouver dans l’erreur et le stress d’une polémique exacerbée. Le mois de la rupture, du recueillement et de la solidarité en est déjà dénaturé.On polémique sur les 1 ou 2 jours où, parait-il, nous ne jeûnerions pas ensemble. Et on oublie les 28 ou 29 jours où nous serons inshallah tous réunis.
Vivre ensemble dans le respect (pas seulement la tolérance) des divergences et des pratiques différentes est à la fois une bénédiction, une épreuve et des limites que Dieu nous impose. Ceci afin que, tous, nous nous rendions compte que la vérité n’appartient qu’à Lui. Un rappel salutaire pour se rappeler l’humilité.

Et c’est vraiment là, le véritable enseignement à retirer de cette polémique : l’humilité et l’ouverture d’esprit. Car ni l’observation ni la science ne nous protègera de manière radicale de l’erreur.



Arrêtons de croire que l’observation, la perception des choses est quelque chose d’évident, de non négociable. Et arrêtons de croire que la raison, le calcul quand ils sont posés comme principe ne peut obligatoirement que nous réunir et n’aboutir qu’à la vérité. Ne tombons dans aucun de ces deux pièges.

Dieu nous demande en permanence de nous méfier de ce monde d’apparence et du sensible. Il nous demande d’aller au-delà de ce qui est perçu. Nous, les croyants, nous privilégions l’invisible, c’est comme cela que Dieu nous qualifie dans le Coran :
« Ceux qui croient à l’invisible, qui s’acquittent de la salât et qui effectuent des œuvres charitables sur les biens que Nous leur avons accordés. » (Al-Baqara, 2/3)

N’adorons pas non plus notre raison ou le calcul scientifique. Ce ne sont que des opérations humaines avec toutes les passions et toutes les imperfections que nous reconnaissons chez l’humain. Poser le calcul comme principe irrévocable et indiscutable, c’est oublier que ce sont des êtres humains imparfaits et sujets à l’erreur qui calculent



Aujourd’hui, il existe différentes méthodes de calcul de la visibilité de la lune, et chacune avec des critères spécifiques, qui font que, selon telle ou telle méthode, les résultats peuvent différer. L’observatoire national français lui-même adopte plusieurs méthodes de calcul. Ainsi, quoi qu’on en pense le calcul de la visibilité de la lune est tout aussi sujet à interprétation, et donc tout aussi aléatoire, que la vision directe.

Le Ramadan est d’abord le mois du Retour. Il s’agit de revenir et de vivre selon les éléments naturels de la création, visible ou non. Pour cela, jeûner c’est s’imposer des limites, se poser et quand les passions se calment, il devient possible d’écouter son prochain, d’écouter le monde puis de retrouver le chemin de Celui Qui l’a créé.

Le mois du Ramadan vient nous rappeler que nos mois s’établissent selon le cycle de la lune, que les prières s’effectuent selon le cycle solaire, que l’alternance jour-nuit a un sens

Ceux qui voudraient que nous nous basions que sur le calcul pour jeûner ou que sur un calendrier pour prier ne comprennent pas la profondeur et l’enjeu du débat. Il voudrait le réduire en un combat idéologique entre ceux qui seraient « éclairés » par leur raison (les réformistes, les modernistes…) et ceux qui seraient attaché à la littéralité du Texte (les traditionnalistes, les dogmatiques…).

Le débat n’est pas futile, il y a bien un enjeu de valeur qui se pose : la question de la place de la raison, de la compréhension du temps ou du sens donné à la création… Toutes ces questions ont de réelles conséquences dans notre manière d’appréhender les Textes mais aussi nos mondes.



L’un des premiers objectifs de la civilisation de la modernité marchande est celui de la redéfinition du temps. Car celui qui définira la manière de réorganiser le temps sera celui qui définira sa manière de concevoir le réel. Il imposera de fait ses valeurs.

Ce n’est pas par hasard si, dans nos centres commerciaux, il n’existe aucune fenêtre, aucune ouverture vers le ciel qui nous permettrait de prendre en compte l’évolution du cycle solaire. Le supermarché est un lieu ou on cultive l’insouciance du consommateur. Il doit s’oublier car par son achat, il permettra la croissance adorée ; et ce n’est qu’en sortant du supermarché, la nuit tombée, qu’on prendra conscience qu’on vient de laisser passer la prière du maghrib. Le soleil est notre rappel, incompatible avec la folie consumériste

Et ce n’est pas par hasard non plus, si dans nos écoles qui forment les futurs producteurs et dans nos usines qui les encadrent, nous trouvons des sonneries et des horloges à chaque couloir organisant ainsi notre temps à la seconde près. Ce temps-là est comptabilisé, il est capital car il définira la valeur et donc le profit des produits vendus.



Marchandiser ainsi le temps est incompatible avec celui du recueillement et de la méditation, celui du recul nécessaire pour vivre… réellement.

Nous sommes dans la même logique, la même aliénation quand certains justifient (ouvertement ou non) l’annonce du début du ramadan par le calcul dans le seul but de pouvoir mieux organiser le temps de travail, les congés payés, les journées scolaires. L’impératif productiviste de la rentabilité doit primer sur tout. Encore et toujours. Et le culte islamique doit s’y intégrer, doit s’y adapter. Aucune exception ne doit être tolérée…

Le mois du ramadan, ce mois où les diables sont enchainés, ce mois où Dieu rend l’acte de bien facile à réaliser, c’est le mois du retour au temps concret de l’être adorateur connecté à l’invisible pour délaisser celui de l’être marchandisé connecté à sa raison instrumentale.


Article publié sur Globislam

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