La
part du faux.
Le
but de tout homme sensé depuis que le savoir et la conscience de soi
se sont rencontré, a été de s’assurer que sa vie, ses croyances
et ses connaissances étaient vraies. Que je sache, aucun être
ne s’est jamais fixé comme but de vivre dans le faux, l’erreur
et l’illusion, car ces choses n’ont pas d’ipséité. Elles ne
sont que pures conjectures. Un être sensé ne peut vivre durablement
dans le faux, quant bien même ce dernier lui paraîtrait vrai. La
découverte de la source est inévitable car l’ombre se nourrit de
la lumière mais la condition humaine n’est pas et ne sera jamais
purement sensée. «Le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée» (Descartes). J’en doute, car je suis celui qui a su un
jour que le bon sens pouvait être subverti.
La
part du vrai.
Nul
n’a jamais eu le monopole de la vérité. Pour un ensemble de
raisons propres à chaque société, nous envisageons et jugeons les
choses selon une situation sociale, culturelle, psychologique,
religieuse ou philosophique particulière. Nos jugements changent
avec le temps, car la connaissance, l’expérience et notre
transformation nous mènent à entrevoir de multiples perspectives
sur le monde et les hommes. Facteur démultiplicateur, nos jugements
prennent une forme quasi systématique lorsque nous nous engageons
dans des voies partisanes. Les oeillères idéologiques restreignent
notre champ cognitif et moral. Elles ne nous font percevoir du monde,
des choses et des hommes, que leur part de vérité ou de fausseté.
Les deux étant mêlées chez la plupart des fils de l’homme, nous
en sommes très souvent réduits à être borgne car «il n’est
pire aveugle que celui qui ne veut pas voir». La réduction du
principe «vrai» ou supposé tel, au défenseur du principe vrai, et
l’assimilation inductive de ses propos à la vérité, est courante
comme le dénonçait en son temps Al-Ghazali. Et évidemment, le
contraire aussi, pour nos adversaires ou nos ennemis, a
fortiori pour
nos «frères».
Dès
lors, le franchissement de cette impasse intellectuelle semble
évident : si le prix d’un parti pris est le sacrifice d’un
œil, fermé volontairement, alors le recours à un troisième œil,
comme le dénomme les traditions hindouistes, bouddhistes et
taoïstes, celui du discernement (furqane) pour paraphraser le Coran,
s’impose. Quand le troisième œil s’ouvre, pénétrant
insensiblement les choses de son regard, tout devient plus clair. Et
c’est seulement ainsi qu’il nous sera possible de nous hisser
au-delà du vrai, au-delà du faux, au niveau du juste. Et c’est
seulement ainsi que nous pourrons déceler la part de vrai et la part
de faux que chacun porte en soi.
Article publié sur La Plume
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