mercredi 8 mai 2019

La conquête de l'amour



Qu'est-ce que l'amour ? Cette question a-t-elle seulement un sens ? Pour quelles raisons, par exemple, lorsque nous pensons à l'amour, pensons-nous systématiquement à l'amour-passion entre un homme et une femme ? Pourquoi ne pensons-nous pas à l'amour d'une mère pour son enfant ? Et pourquoi ne pense-t-on jamais à l'amour d'un père pour sa fille ? L'amour est-il seulement synonyme ou équivalent à la passion ? Ou bien la passion est-elle une forme d'amour particulièrement puissante ? Peut-on d'ailleurs penser l'amour sans l'avoir vécu ? Est-il seulement possible de ne pas avoir connu la moindre forme d'amour ? 



Questionner l'amour, quelle que soit la question, revient à questionner l'évidence et l'absence d'évidence, car rien n'est plus évident que l'amour quand il se déclare à lui-même et se manifeste de lui-même, et rien n'est plus évident que l'amour n'est pas ou n'est plus quand il est questionné. L'évidence échappe toujours, par nature, au questionnement. Si l'évidence peut-être néanmoins questionnée, il est certain que par le questionnement, elle se soustraie à la question, car l'évidence est une mise à nu du sens. Dans le questionnement, l'évidence est invitée à se dissimuler sous les voiles du détachement et de la retraite vers l'inaccessible. Dans la perte du sens de l'évidence, nous sommes perdus à nous-mêmes et perdus dans notre possibilité de communier avec l'essence de la vérité. La perte de l'évidence est l'une de ces fautes irréversibles comportant en elle-même son propre châtiment.  



Qu'est-ce que l'amour ? Voici ce que nous en savons. L'amour se vit et se cultive. Il naît et il meurt. Il surgit à l'aune de l'imprévisible et disparaît dans le territoire des conventions. L'amour est l'une de ces notions rendues comme inaccessible à l'entendement. Il doit donc être pensé ailleurs, à la source, au niveau du cœur. Et nous voyons bien qu'à ce niveau les choses sont plus profondes, plus saisissantes et d'autant moins saisissables. En nous remémorant l'amour et en puisant au fond de nos souvenirs, nous comprenons que l'amour est polymorphe et en mouvement, d'un mouvement d'une autre nature puisqu'il se meut en lui-même et de lui-même, et vit de sa propre consomption. L'amour se nourrit de lui-même mais prend racine dans les êtres, lieu de manifestation et de présence de l'amour. Nous aimons un être, parmi d'autres, et sommes aimés d'un autre. L'amour peut être réciproque ou vécu à sens unique. Il ne se choisit pas et ignore l'équité. Là où il y a équité, il n'y a pas d'amour. L'amour transcende le calcul et donne par amour de soi ou amour de l'autre, par amour de l'autre en soi. 


Mais sous une forme ou une autre, qu'il soit inspiré par un être ou par autre chose, l'amour se vit malgré tout prisonnier et lié à ce qui l'enchaîne comme sa raison d'être, et de combustion en combustion ne désire paradoxalement qu'une chose : se frayer un chemin de libération vers l'au-delà de l'être aimé. Par cette pensée, l'amour se surprend à penser contre soi, mais en pensant par soi, l'amour commence de se libérer de l'autre. Dans l'amour de l'autre et dans l'amour de la forme, se joue déjà en amont le procès de la fin de l'amour. Mais ce que la fin de l'amour nous apprend est une leçon capitale et cruciale : nous n'avons jamais aimé tant que nous n'avons pas aimé l'Amour lui-même, et ce qui caractérise l'Amour, ou si l'on préfère l'Amour infini, absolu ou universel, est sa capacité à nous englober, à nous envelopper de sa chaleur et de sa bienveillance immesurée et inconditionnelle. La véritable conquête que nous indique l'amour, dans sa présence, est donc située au-delà de toutes les formes qui l'inspirent et qui ne constituent qu'autant de marches menant vers Lui. L'amour de l'Amour est cette noble entreprise qui nous appelle des tréfonds du cœur à nous émanciper des formes pour nous préparer à nous consacrer, dignement et avec ferveur, à n'adorer que Lui.


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