Qu'est-ce
que l'amour ? Cette question a-t-elle seulement un sens ?
Pour quelles raisons, par exemple, lorsque nous pensons à l'amour,
pensons-nous systématiquement à l'amour-passion entre un homme et
une femme ? Pourquoi ne pensons-nous pas à l'amour d'une mère pour son enfant ? Et pourquoi ne pense-t-on jamais à l'amour d'un père pour sa fille ? L'amour est-il seulement synonyme ou équivalent à
la passion ? Ou bien la passion est-elle une forme d'amour
particulièrement puissante ? Peut-on d'ailleurs penser l'amour
sans l'avoir vécu ? Est-il seulement possible de ne pas avoir
connu la moindre forme d'amour ?
Questionner
l'amour, quelle que soit la question, revient à questionner
l'évidence et l'absence d'évidence, car rien n'est plus évident
que l'amour quand il se déclare à lui-même et se manifeste de
lui-même, et rien n'est plus évident que l'amour n'est pas ou n'est
plus quand il est questionné. L'évidence échappe toujours, par
nature, au questionnement. Si l'évidence peut-être néanmoins
questionnée, il est certain que par le questionnement, elle se
soustraie à la question, car l'évidence est une mise à nu du sens.
Dans le questionnement, l'évidence est invitée à se dissimuler
sous les voiles du détachement et de la retraite vers
l'inaccessible. Dans la perte du sens de l'évidence, nous sommes
perdus à nous-mêmes et perdus dans notre possibilité de communier
avec l'essence de la vérité. La perte de l'évidence est l'une de
ces fautes irréversibles comportant en elle-même son propre
châtiment.
Qu'est-ce
que l'amour ? Voici ce que nous en savons. L'amour se vit et se
cultive. Il naît et il meurt. Il surgit à l'aune de l'imprévisible
et disparaît dans le territoire des conventions. L'amour est l'une
de ces notions rendues comme inaccessible à l'entendement. Il doit
donc être pensé ailleurs, à la source, au niveau du cœur. Et nous
voyons bien qu'à ce niveau les choses sont plus profondes, plus
saisissantes et d'autant moins saisissables. En nous remémorant
l'amour et en puisant au fond de nos souvenirs, nous comprenons que
l'amour est polymorphe et en mouvement, d'un mouvement d'une autre
nature puisqu'il se meut en lui-même et de lui-même, et vit de sa
propre consomption. L'amour se nourrit de lui-même mais prend racine
dans les êtres, lieu de manifestation et de présence de l'amour.
Nous aimons un être, parmi d'autres, et sommes aimés d'un autre.
L'amour peut être réciproque ou vécu à sens unique. Il ne se
choisit pas et ignore l'équité. Là où il y a équité, il n'y a
pas d'amour. L'amour transcende le calcul et donne par amour de soi
ou amour de l'autre, par amour de l'autre en soi.
Mais
sous une forme ou une autre, qu'il soit inspiré par un être ou par
autre chose, l'amour se vit malgré tout prisonnier et lié à ce qui
l'enchaîne comme sa raison d'être, et de combustion en combustion
ne désire paradoxalement qu'une chose : se frayer un chemin de
libération vers l'au-delà de l'être aimé. Par cette pensée,
l'amour se surprend à penser contre soi, mais en pensant par soi,
l'amour commence de se libérer de l'autre. Dans l'amour de l'autre
et dans l'amour de la forme, se joue déjà en amont le procès de la
fin de l'amour. Mais ce que la fin de l'amour nous apprend est une
leçon capitale et cruciale : nous n'avons jamais aimé tant que
nous n'avons pas aimé l'Amour lui-même, et ce qui caractérise
l'Amour, ou si l'on préfère l'Amour infini, absolu ou universel,
est sa capacité à nous englober, à nous envelopper de sa chaleur
et de sa bienveillance immesurée et inconditionnelle. La véritable
conquête que nous indique l'amour, dans sa présence, est donc
située au-delà de toutes les formes qui l'inspirent et qui ne
constituent qu'autant de marches menant vers Lui. L'amour de l'Amour
est cette noble entreprise qui nous appelle des tréfonds du cœur à
nous émanciper des formes pour nous préparer à nous consacrer,
dignement et avec ferveur, à n'adorer que Lui.
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