On
suppose à tort que la naïveté est un défaut, une imperfection de
l'âme, le signe d'une immaturité psychologique et d'un manque
criant d'expérience. C'est ignorer ce qu'est véritablement la
naïveté et les vertus qu'elle seule confère au naïf, car à tout
bien considérer, la naïveté n'est pas autre chose qu'une
magnifique opportunité de connaître les Hommes pour ce qu'ils sont
réellement. La naïveté consacre le choix de la confiance
ontologique envers son prochain et par cette grâce distinctive se
voit attribuer la faculté du discernement entre le vrai et le faux.
Le naïf peut accéder à cette connaissance parce qu'il l'a accepté
en lui-même, parce qu'il a su accueillir l'autre tel qu'il est, et
ce dans l'indétermination de toutes ses possibilités. De cet
accueil sincère, qui est cueillette et saisie des cœurs, se trouve
le secret gnostique de la naïveté que saisissent les initiés et
qu'ignorent définitivement les sceptiques, dont le cœur voilé ne
peut plus distinguer ni la vérité, ni la fausseté des Hommes.
Par
cette disponibilité ontique qu'ils reçoivent directement de Dieu,
les naïfs se distinguent des autres et cette distinction les
désignent comme les messagers naturels de l'évidence, les
portes-voix attitrés et inspirés de la Vérité. Mais cette
qualification a un coût. La mise à nu de soi implique une prise de
risque que seuls les endurants peuvent offrir au monde. La confiance
élémentaire qui les anime leur en accorde en quelque sorte le
privilège insigne. Il fut un temps où cette vertu était connu des
sages. En ces temps troubles où la mort spirituelle plane et
surplombe, tel un vautour, nos têtes courbés vers le sol, ce savoir
a été oublié. Les naïfs sont les témoins proches de nos
lointaines origines et à ce titre, les hérauts de notre avenir. Ils
forment, de notre race déchue, l'avant-garde éternelle.
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