-Répondre
à une calomnie, c'est lui accorder le statut théorique de
potentielle vérité. Le tribunal populaire offre toujours
gracieusement le bénéfice de la certitude aux accusateurs. Ne pas
répondre à une calomnie, c'est lui accorder la présomption de
vérité, car qui ne dit mot consent. Répondre à une calomnie par
une contre-calomnie est le moyen le plus sûr de la neutraliser (Le
Bon). Mais la fin ne justifie pas les moyens, et la contre-calomnie
est le moyen certain de provoquer notre chute. Alors autant se taire
et laisser le temps faire son œuvre car «toute vérité doit être
vécue avant d'être dite» (Pingaud). La quête du vrai est une
entreprise tortueuse et exigeante. Qui veut effleurer les portes du
Ciel se doit inévitablement d'accomplir l'ascension des monts
terrestres qui les bordent et les gardent.
-La
part du faux. Le but de tout homme sensé depuis que le savoir et
la conscience de soi se sont rencontré, a été de s'assurer que sa
vie, ses croyances et ses connaissances étaient vraies. Que je
sache, aucun être ne s'est jamais fixé comme but de vivre dans le
faux, l'erreur et l'illusion, car ces choses n'ont pas d'ipséité.
Elles ne sont que pures conjectures. Un être sensé ne peut vivre
durablement dans le faux, quant bien même ce dernier lui paraîtrait
vrai. La découverte de la source est inévitable car l'ombre se
nourrit de la lumière. Mais la condition humaine n'est pas et ne
sera jamais purement sensée. «Le bon sens est la chose du monde la
mieux partagée» (Descartes). J'en doute, car je suis celui qui a su
un jour que le bon sens pouvait être subverti. La part du vrai.
Nul n'a jamais eu le monopole de la vérité. Pour un ensemble de
raisons propres à chaque société, nous envisageons et jugeons les
choses selon une situation sociale, culturelle, psychologique,
religieuse ou philosophique particulière. Nos jugements changent
avec le temps, car la connaissance, l'expérience et notre
transformation nous mènent à entrevoir de multiples perspectives
sur le monde et les hommes. Facteur démultiplicateur, nos jugements
prennent une forme quasi systématique lorsque nous nous engageons
dans des voies partisanes. Les oeillères idéologiques restreignent
notre champ cognitif et moral. Elles ne nous font percevoir du monde,
des choses et des hommes, que leur part de vérité ou de fausseté.
Les deux étant mêlées chez la plupart des fils de l'homme, nous en
sommes très souvent réduits à être borgne car «il n'est pire
aveugle que celui qui ne veut pas voir». La réduction du principe
«vrai» ou supposé tel, au défenseur du principe vrai, et
l'assimilation inductive de ses propos à la vérité, est courante
comme le dénonçait en son temps Al-Ghazali. Et évidemment, le
contraire aussi, pour nos adversaires ou nos ennemis, a fortiori
pour nos «frères». Dès lors, le franchissement de cette impasse
intellectuelle semble évident : si le prix d'un parti pris est
le sacrifice d'un œil, fermé volontairement, alors le recours à un
troisième œil, comme le dénomme les traditions hindouistes,
bouddhistes et taoïstes, celui du discernement (furqane) pour
paraphraser le Coran, s'impose. Quand le troisième œil s'ouvre,
pénétrant insensiblement les choses de son regard, tout devient
plus clair. Et c'est seulement ainsi qu'il nous sera possible de nous
hisser au-delà du vrai, au-delà du faux, au niveau du juste. Et
c'est seulement ainsi que nous pourrons déceler la part de vrai et
la part de faux que chacun porte en soi.
-La barbarie n'est pas la régression de la culture à l'état de nature, mais sa destruction. Qu'a donc été le mouvement de la culture humaine sinon l'extrapolation sous de multiples expressions des possibles indéfinis de la nature humaine. Guerre, science, commerce, arts, politique, n'ont eu de cesse de remédier aux besoins des sociétés : survivre, croître, prospérer, perdurer au fil des siècles. Dans ses pires excès, l'homme l'a appris, l'eut-il pour cela appris à ses dépens, car tous les états sont dans la nature humaine. Du microcosme humain au macrocosme social, tout est affaire de degré, de perspective. Quant les règles culturelles des hommes les mènent à violer les lois naturelles, nature et culture périssent ensemble, indissociablement. L'esprit de l'homme en fait par nature, un être de culture.
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