Voici un texte de Djamel Misraoui, un acteur humanitaire fort expérimenté et qui réfléchit aux problématiques entre les conflits géopolitiques en lien avec l'islam et les pratiques humanitaires. Son texte publié sur grotius.fr aborde la nécessité d'établir un glossaire sur les notions islamiques en usage dans le vocable de l'humanitaire. La colline ouvre le débat.
Djamel Misraoui
J’anime depuis de nombreuses années des
ateliers de réflexion, de rédaction de notes de plaidoyer, des
débats dans les colloques liés à la géopolitique de
l’humanitaire, etc. et le constat est toujours le même
:un certain nombre de mots clés liés à la culture
arabo-musulmane ne sont pas assimilés ni perçus de la même façon
par les participants qui venaient de différents horizons
professionnels et/ou universitaires. Par ailleurs, les
différents acteurs de la coopération internationale (ONG,
diplomates, bailleurs de fonds institutionnels, acteurs privés, etc)
de plus en plus conscients de la complexité de mener des
opérations dans les contexte religieux et géopolitique du monde
musulman et se sont rendus compte de la nécessité de mieux
appréhender le champs socioculturel pour mener à bien leurs
missions.
La grille de lecture du monde musulman est
devenue plus fragile et extrêmement délicate depuis les évènements
terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis et les guerres qui
les ont suivies, en particulier, en Afghanistan et en Irak. La
communication entre l’Occident et le monde musulman a empiré,
accentuant encore davantage le fait que chacune des parties considère
l’autre comme un ennemi. Il importe par conséquent que les
organisations humanitaires en particulier perçoivent leur
environnement de manière aussi distincte et différenciée que
possible. La généralisation affaiblissent la compréhension
mutuelle et donc la confiance, qui est la base de toute forme
d’action humanitaire.(1) Pour illustrer mes propos, voici au moins deux termes
de langue arabe qui connaissent une utilisation fréquente par les
acteurs occidentaux de la coopération internationale et qui
méritent, à mon sens, une compréhension bien aiguisée pour mener
à bien des programmes d’aide et de développement sur le terrain :
Chariâ : La chariâ,
veut dire « voie, chemin vers la source », représente
diverses normes doctrinales, sociales, culturelles, et relationnelles
édictées par la « Révélation ». Le terme utilisé en
arabe dans le contexte religieux signifie : « chemin pour
respecter la loi [de Dieu] ». Il est d’usage de désigner en
Occident la chariâ par le terme de loi islamique qui est une
traduction très approximative puisque n’englobant que
partiellement le véritable sens du mot (ce terme est d’ailleurs
utilisé en lieu et place de droit
musulman). La chariâ codifie à la fois les aspects publics et
privés de la vie d’un musulman, ainsi que les interactions
sociétales(2).
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a
engagé, depuis plusieurs années, une série de dialogue et de
rencontres fertiles avec les experts du monde arabe et les
spécialistes de la loi canonique islamique (chariâ) des pays
musulmans (Afghanistan, Pakistan, Iran, Maroc, etc.) sur les
questions de la protection des victimes de la guerre, le traitement
des prisonniers de guerre, qui retrouvent une sorte de compatibilité
entre le Droit international humanitaire (DIH) et la loi canonique
islamique car ces derniers s’accordent sur le caractère sacré de
la vie, de la propriété et de la dignité humaine ainsi que sur la
volonté de garantir le respect mutuel(3).
Ainsi, Le guide de Médecins sans frontières
(MSF) sur le droit humanitaire, qui a été traduit en arabe et
comprend une section sur le droit islamique, précise au personnel de
terrain que les principes humanitaires se fondent sur des principes
religieux, qu’ils soient musulmans, chrétiens, bouddhistes ou
autre.
Jihâd : Le
jihâd qui se traduit abusivement par la notion
de la « guerre sainte » est un terme qui signifie
« effort » du musulman dans le combat contre ses mauvais
instincts. Sur le plan militaire, il prend une signification de
« résistance » à l’agression, à l’injustice et à
l’exploitation par toutes les voies légales.(4)
Aujourd’hui, la région la plus mortelle au monde
depuis 2005 est l’Asie Centrale et du sud en raison des conflits en
Afghanistan, au Pakistan et au Sri Lanka… À
l’inverse, la deuxième région la plus mortelle, l’Afrique du
Nord et le Moyen-Orient, a vu son nombre de morts au combat
tripler (de 2000 victimes en 2010 à 6000 victimes en 2011). Sont en
cause le Printemps arabe et les conflits en Libye, en Syrie ou encore
au Yémen(5). L’utilisation de la notion de
jihâd par des groupes armés dans
le monde musulman pour légitimer des actions en totale opposition
avec les principes de l’islam. Ces groupes recrutent non seulement
dans le monde arabe mais aussi en Europe, au Canada, en Australie et
aux Etats-Unis, même auprès des mineurs comme c'est le cas pour le
conflit syrien. Le déplacement massif des populations et la
violence contre les civils sont les faits les plus marquants de ces
conflits.
Un nouveau terme très médiatisé, celui de
«djihadiste» vient pimenter» le champ
lexical de cette région et on le retrouve de plus en plus utilisé
dans des études exploratoires ou dans des analyses diverses.
Mais la question qui reste sans réponse demeure celle
de la protection des civils car les groupes « djihadistes »
disposent de tout un éventail de justifications pour les attaques
touchant les populations. Certains invoquent une logique de
réciprocité : le fait que des armées non musulmanes tuent des
civils musulmans leur donne le droit de tuer des civils non
musulmans. D’autres affirment que les civils contribuent à
l’effort de guerre «en acte, en parole ou en pensée». D’aucuns
prétendent qu’il est parfois impossible de distinguer les civils
des combattants(6).
Dans cette logique, d’autres termes, comme :
terrorisme, martyr, fatwa, halal, hijab, zakat, wakf, etc.
méritent d’être mieux définis. La mise en place d’un glossaire
permettra de mieux nuancer leur utilisation par les acteurs de
terrain en amont et en aval de programmes en vue de se faire accepter
par les populations locales et leurs représentants.
En conclusion, les travaux menés par les
anthropologues et les spécialistes de sciences humaines ont toute
leur légitimité pour continuer à être présents dans les missions
d’exploration et d’évaluation. Tout ceci dans un esprit de
complémentarité et de regards croisés qui aideront certainement à
avoir une compréhension plus fine et permettront d’enlever
les barrières que les acteurs de la coopération internationale ont
eux même créées. Cette démarche pourra faire évoluer la
perception de ces acteurs qui seront mieux acceptés et protégés
par les bénéficiaires.
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Charia
(3) http://www.redcross.int/FR/mag/magazine2005_1/24-25.html
(4) http://tariqramadan.com/blog/2005/06/03/glossaire-lexiques/
(5) L’état de la violence armée dans le monde, publié le 03/04/2014.
(6) Jurisprudence du djihad – Interprétations militantes des règles de guerre islamiques. Publié le 30/04/14.
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