dimanche 13 avril 2014

8 manières d'échapper à l'emprise du temps



Fuir le temps est impossible. Mais échapper à son emprise ne l'est pas. La colline vous présente 8 manières d'y parvenir, en toutes occasions. Histoire de comprendre que perdre du temps c'est en gagner, et que vouloir en gagner c'est se résoudre à en perdre un peu plus. 

La marche du monde


Nous vivons une époque singulière à tous points de vue. Notre rapport biaisé au temps en est l'une des marques. Jamais nous ne nous sommes déplacés aussi vite que maintenant, jouissant de tous les modes de transports possibles (voiture, bus, train, rer, métro, tramway, vélo, moto, avions, bateaux...). Nos téléphones, tablettes, et ordinateurs portables nous connectent au monde entier à chaque instant, abolissant les notions d'espace et de temps. Notre course effrénée contre le temps nous a placé dans une situation paradoxale. Nous avançons très vite, beaucoup trop vite. E = MC2. Notre vitesse de vie ne fait que s'accélérer et dans sa fuite improbable, une chose lui a échappé des mains : notre conscience. N'ayant plus de prise sur le temps, nos technologies nous ont coupé du plus grand marqueur que nos existences avaient en leur possession, le décompte minutieux, la prise de temps ou la prise du temps, seule manière d'être en phase avec le cosmos et ses lois fondamentales que nous ne pouvons violer impunément. Notre fulgurante échappée transitoire et partielle nous a fragmenté, dispersé, fondu dans le devenir temporel. La première manière de reconquérir notre force d'inertie sera aussi celle qui nous libérera momentanément du temps : la marche. Marcher est l'antithèse la plus commune de notre époque. Nous n'avons quasiment plus besoin de marcher, et presque plus de nous tenir debout, cette position si caractéristique de l'homme nous dit-on, et symbolisant la dignité de sa nature. Si vos jambes ne vous portent plus, ne vous en portez pas plus mal. A quelques mètres de votre domicile, un arrêt de bus vous transportera de joie jusqu'à la gare la plus proche. En attendant votre chauffeur, un banc vous permet de vous reposer. Une fois en gare, un escalator vous dispensera d'arborer ces odieux escaliers aussi usant qu'interminables. Et une fois sur place, un ascenseur vous élèvera jusqu'à votre destination finale. Dans ce trajet formidable, deux choses pourtant sont restées sur le quai : la conscience de votre corps, soumis à un repos quasi permanent, et celle de votre moi, perdu dans cette totalité matérielle, dans cette continuité technologique, où la virtualité et la vitesse sont devenue plus précieuses que les limites du réel. 



Il est donc grand temps pour vous de marcher. Pourquoi ? Pourquoi alors que le temps c'est de l'argent, qu'en perdre c'est perdre deux fois ? Le temps n'est-il pas aussi le moyen d'atteindre le bonheur, aussi fugitif soit-il ? Et en gagner ne fait qu'augmenter nos chances d'y parvenir ! C'est ce que l'époque, cette subtile monstruosité qui n’apparaît jamais, nous susurre à l'oreille. Alors marchons car perdre du temps c'est en gagner. Marchons d'un point A vers un point B, et redécouvrons la notion de voyage extérieur et intérieur. Marchons encore pour endurer la fatigue, la chaleur, et récolter la sainte rosée déversée sur nos fronts, celle-là même qui rajeunira nos corps et leur offrira la vie pré-éternelle, la santé. Oui, perdre du temps c'est en gagner. Nos pensées se bousculent, notre esprit se met en ordre, nos doigts, ces chapelets de chair, vibrent au son du sang qui boue. Les véhicules nous dépassent et quelques regards de passagers inquiets et désabusés nous transpercent l'âme, en vain. Notre conscience s'éveille au défi anonyme que nous venons de jeter à la face de ce monde qui n'a plus ni début ni fin.

La prière du monde


La prière est l'un des actes les plus harmonieux qui soit, de ceux qui vous font vivre dans la lisière du temps mais vous en affranchissent volontiers, comme la méditation. A l'opposé de la marche, la prière est un acte immobile et prescrit selon une chronologie bien déterminée. Elle est codifiée d'après une logique qui nous échappe mais qui obéit à des règles immuables. En découpant nos journées de son rythme régulier, elle nous impose une discipline salutaire propre à nous éviter de nous étioler dans la dispersion, de sombrer dans le maelstrom de nos sommeils éveillés et de nous y noyer. La prière est aussi cette clé précieuse qui ouvre la porte du temps pour vous conduire vers le Maître du temps, celui dont la proximité en abolit l'emprise. C'est alors le moment où l'éternel présent préfigure l'éternité édénique et où la simple mention du nom de Dieu suffit à avancer ou retarder cette marche impassible des astres, aiguilles de l'horloge cosmique. Au commencement était le Verbe, sans conjugaison, ni déclinaison temporelle. 


Le travail sensé
Nous appelons travail sensé, celui qui déborde son temps telle une cruche se déversant dans la terre et y imbibant son fluide vital, au-delà du cercle initial qui lui était assigné. Bâtir une école, une bibliothèque, un hôpital, construire un pont, écrire un livre, cultiver la terre, éduquer des enfants, instruire des élèves, font partie de ces oeuvres investies par le sens. Le travail sensé n'est pas tout à fait un travail utile car l'utilité est une notion plus relative et moins enracinée que le travail sensé qui se hisse à un niveau plus fondamental de signification dans l'ordre des choses. Le travail sensé convertit les années qui lui sont consacrées en une sève durable que les décennies effleurent à peine, comme la bourrasque avec le chêne. Pour atteindre ce statut le travail sensé doit fonder son inspiration sur une triple authenticité : l'accomplissement d'une règle d'or (éduquer, soigner, réunir, nourrir), la réalisation en vue d'autrui, la transmission de l'oeuvre accomplie à des héritiers.


La lecture
Le seul mode de connexion plurichronologique que l'humain ait eu entre ses mains. La lecture est un mouvement, une projection hors de soi aux confins de mondes et d'époques innombrables. La lecture n'est pas seulement synchronique ou diachronique, elle est avant toute chose métachronique. Elle ignore les limites du temps, en franchit les époques à son gré, commence par la fin et finit par le commencement, si tant est qu'elle finisse. La lecture est un palais de glace où le regard du texte nous renvoie vers l'intimité de nos propres chapitres, sans que l'on ne puisse plus différencier où débute le récit et où finit l'âme.

Le rêve
Le rêve est l'équivalent intérieure et immédiat de la lecture. Il déploie les pages de notre être profond et nous en fait découvrir la teneur à son gré et quand bon lui semble. Le rêve est par définition cet espace hors-temps , ce no man's land spatial, cette cinquième dimension propre à l'esprit. Aucune logique chronologique n'y est à l'oeuvre, si ce n'est la diffraction temporelle. Le temps n'est pas admis dans cet archipel interdit.


La patience
Règle fondatrice des sagesses et des morales, la patience est cette expérience qui nous confronte directement au temps, dans sa nudité terrifiante et sa surprenante matérialité. Là où l'impatience nous cloîtrent et nous enchaîne au temps au point de nous en faire goûter l'infinité et le poids, ce qu'on appelle l'ennui, la patience nous délivre des chaînes du temps. La patience n'est pas une perte de temps mais une victoire sur lui car patienter c'est échapper à l'emprise du temps.



La lenteur
La lenteur n'est pas la patience, même si elle l'implique. La lenteur est contrairement aux apparences, un gain de temps, en particulier dans les œuvres sensibles, peut-être en raison de la fameuse règle de l'inversion analogique si chère aux symbolistes traditionnels. Comme l'évoquait un personnage de fiction cinématographique, un tireur d'élite, lenteur égal précision, précision égal vitesse. Dans la fable de La Fontaine, la tortue triomphe du lièvre.


Le retard




Le retard est la forme la plus surprenante de défi du temps. Dans nos sociétés de plus en plus taylorisées où le temps est de l'argent, signe de la profonde décadence de nos valeurs sociales, arriver à l'heure est primordial. Moins par respect des conventions ou pour une quelconque raison morale propre à une éthique du comportement. Le retard est un affront ouvert à l'économie de marché, un acte de provocation pour la logique du capital qui a su se doter des moyens légaux de représailles propres à prévenir cette dissidence ouverte potentiellement contagieuse. Et pourtant, si le retard ne saurait être une règle de vie, il possède quelques vertus certaines. Il nous permet une fois encore d'échapper à cette emprise du temps, à cette course infernal dictée par la société, à cette violence qui nous use lentement et profondément, telle une goutte d'acide s'écoulant dans les tuyauteries d'un navire. C'est par le retard que le salarié reconquière son moi et l'arrache des mains aliénantes du système de production marchand.

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