dimanche 6 avril 2014

Incendier une bibliothèque n'est pas un acte politique !



Une grille de lecture présente chez certains sociologues de gauche (excusez ce pléonasme), tend fréquemment à présenter et expliquer certains comportements des jeunes ou moins jeunes issus des quartiers dits populaires par une thèse politique, vernis brillant et clinquant appliqué à des barres de tôle rongées par la rouille, autant dire une double couche d'occultation déposée sur leur épiderme qu'on sait à fleur de peau. De quoi parlons-nous ? De cette fameuse explication populaire dans les milieux politiques indigènes, à savoir celle de l'éternelle révolte des peuples victimes du continuum néocolonial ou autre hydre issu de la pensée politique tiers-mondiste, du fanonisme en moins talentueux, grille systématiquement appliquée à chaque émeute, requalifiée de révolte populaire (révolte contre qui ou quoi, pourquoi, on l'ignore toujours). Cette posture revêt un autre habit rhétorique moins ringard chez nos amis sociologues mais tout aussi pernicieux.

Un acte incompréhensible
Dans la très sérieuse revue numérique que nous vous conseillons La vie des idées, une note de lecture de François Dubet à propos de l'ouvrage de DenisMerklen Pourquoibrûle-t-on des bibliothèques ?, nous en livre la teneur. Extraits : «Un silence gêné entoure les 70 incendies de bibliothèques qui ont été allumés en France entre 1996 et 2013 (…) Alors que l’on peut comprendre les incendies des commissariats de police comme des protestations contre la violence des policiers et, au-delà, contre la violence de l’État, pourquoi s’en prendre aux livres mis à disposition de tous dans les quartiers qui semblent souvent abandonnés ? », commence par s'interroger l'auteur de la note. L'indignation est certaine. «L’incendie des bibliothèques est d’autant plus incompréhensible qu’il souille un sanctuaire sacré puisque le livre est, à la fois, ce qui nous attache à une culture universelle et ce qui nous individualise, nous fait les sujets de notre propre vie. Refuser le livre, c’est refuser la civilisation quelle que soit la manière dont on la nomme». Ce n'est pas nous qui allons le démentir.



Closer dans les bibliothèques
C'est alors que relayant l'autre son de cloche, celui des quartiers, l'auteur poursuit par cette explication : «Les habitants distinguent ceux qui vivent « dans » le quartier et ceux qui vivent «sur» le quartier, les multiples intervenants qui viennent d’ailleurs. À propos des bibliothèques, «on n’a rien demandé», «c’est fait pour nous endormir» alors que l’emploi reste le problème essentiel. Bien sûr, tous les habitants du quartier ne pensent pas ainsi et ne parlent pas ainsi, mais ils se sentent confusément représentés par ceux qui lancent des pierres contre des équipements qui ne sont pas de leur monde, par ceux qui vont en groupe à la bibliothèque parce que, y aller seul, «c’est trop la honte». Différentialisme territorial des jeunes contre une intrusion élitiste de la bourgeoisie du centre-ville ? L'auteur se veut nuancé, du moins aurait-on pu le croire. «Cependant, tout n’est pas aussi simple car les habitants des quartiers lisent. Mais ils veulent parfois lire ce qu’on ne trouve pas à la bibliothèque. Faut-il mettre la presse people sur les rayons des bibliothèques ? Denis Merklen plaide pour Closer car, selon lui, cette littérature profondément méprisée dénonce, aux yeux de ses lecteurs, les turpitudes des puissants, dévoile une partie du jeu social cachée aux dominés. Elle participe de l’économie morale des classes dominées qui saisissent le monde en termes moraux bien plus qu’en termes proprement sociaux. Closer serait ainsi l’héritière de la littérature « pornographique » du XVIIIe siècle qui critiquait les institutions en dévoilant les vices des puissants, préparant ainsi le terrain à la révolution».



Incendier pour se faire entendre
Qu'on se le dise ! La presse people est un ferment révolutionnaire savamment dissimulé sous des torrents d'indécence visuelle. D'ailleurs, quoi de mieux pour détrôner la nouvelle noblesse d'état bling-bling que ces revues qui lui vont comme un gant. L'auteur promeut donc la reconnaissance d'une nouvelle littérature propre à ces indigènes, qu'il nomme la «littératie». «Denis Merklen analyse la littérature des écrivains de banlieue, ceux qui envoient des SMS et des messages, ceux qui écrivent des textes de rap, ceux qui écrivent les livres des cailleras. Or, toute cette production, cette « littératie », est absente des bibliothèques, des médiathèques et des écoles qui incarnent alors une régulation autoritaire de l’écrit (…) Dès lors, les bibliothèques ne brûleraient pas seulement parce qu’elles dominent et parce qu’elle viennent d’ailleurs, elles brûleraient aussi parce que le conflit des légitimités culturelles est un véritable conflit politique dont l’enjeu est l’interprétation de l’expérience populaire. Et c’est la langue même de cette interprétation «indigène» qui serait refusée. L’incendie des bibliothèques ne serait pas seulement un geste de rage, ce serait aussi un geste politique. Les bibliothèques brûlent parce le monde populaire n’est pas entendu».

Le résultat de 50 ans de ghettoïsation
Cette grille de lecture présente donc comme un acte politique ce qui relève d'une destruction de bien commun, à la manière de Sadri Khiari, chantre désenchanté du socialisme des damnés de la terre, s'écriant tel un Danton maghrébin : «Brûler des voitures est un acte politique». Je doute que des parents de la première ou seconde génération voyant leur véhicule et leurs minces économies voler en cendres partagent le même point de vue. Disons le, l'imposture de ce discours réside dans le fait de greffer une partie des causes à l'origine du malaise des jeunes enfermés dans un horizon social du fait de choix politiques et urbains décidés il y a près de 50 ans, dans celles de leurs actes. La seule dimension politique de ces drames est dans la responsabilité des élus locaux, régionaux et nationaux, bien décidés à parquer des populations immigrés choisies mais non désirées, à les refouler dans des lieux éloignés, clos, à les assigner à résidence dans des ghettos qui ne devraient plus exister aujourd'hui.


L'émancipation par la lecture
Quant aux explosions de colère des quartiers, elles ne relèvent en aucune manière d'actes politiques. Le prétendre relève soit de l'ignorance de ce qu'est la politique, soit d'une inconscience destinée à légitimer un discours de renarcissisation aussi pitoyable qu'impuissant, une forme du ressentiment lancinent à l'oeuvre dans ces esprits qui du fait d'une étrange inversion de valeurs, finissent par vénérer leurs ghettos là où une authentique émancipation passeraient par leurs destructions; soit plus prosaïquement, d'une escroquerie idéologique. Ces émeutes sont révélatrices d'un malaise, d'une rage, d'un cri identitaire et existentiel adressé à la face du monde. Politiser ce malaise ne contribue qu'à reléguer un peu plus ces classes populaires. La réponse se trouve dans la construction et la structuration de leur moi, pas dans la destruction cyclique de leur environnement. Dans l'éducation et l'édification individuelle, propres à leur permettre de contribuer par la lecture, l'effort et le travail, à l'accomplissement d'eux-même et à l'auto-responsabilisation. Pas dans le différentialisme exclusiviste ou dans le néo-culturalisme sociologique qui verrait dans un SMS ou un mauvais texte de rap, la manifestation du génie populaire, rehaussé par le paternalisme bien pensant en «littératie», comprenez une littérature au rabais. C'est en brûlant intérieurement les pierres de leur rage personnelle que ces Français issus de leur propre destinée en sortiront du fer, certainement pas en les projetant sur les autres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire