L'homme
est en exil sur Terre. L'exil est sa condition : nulle part il
ne se sentira chez lui définitivement, sans qu'il ne sache jamais
réellement pourquoi toute forme d'attachement lui est interdit. Un
long, un très long voyage, si loin de notre patrie céleste nous a
éloigné de nous-même. Une plante semée dans les jardins de l'Eden
a été déracinée par la folie du libre-arbitre, par l'innocence de
la découverte, par l'indécence d'une tromperie. Éparpillée aux
quatre coins du monde par une chute mémorable, la plante s'est
laissée portée par le souffle divin de la Destinée. Les fleuves de
l'adversité l'ont irrigué, les tornades de la guerre l'ont
meurtrie, les prairies de l'insouciance l'ont reposé. C'est un
lointain voyage qui nous a épuisé. Amnésiques, nous nous sommes
fondus dans le décor, nous sommes devenus le voyage. Il n'y a plus
de voyageur. En haut, une place vide attirent les regards. L'attente
du disparu est sur tous les visages des hôtes divins. L'ultime
retour aura bien lieu, plus tard. En temps voulu. Le temps qu'ils
sachent qu'il est temps pour eux de rentrer chez eux. De faire
retour, sans faire demi-tour. De poursuivre leur chemin jusqu'au
point fatidique, par-delà fuites et escales. Ce terme inachevé où
l'exilé prend conscience de toute l'ampleur de sa solitude. Il est
temps de faire retour, se surprendra-t-il à penser. Et de panser
toutes ses plaies, si vives, si lointaines. La Terre est ma mère, le
Ciel est mon toit. La mort est mon frère, l'au-delà mon asile. Me
voilà, je ne sais comment, face à l'Océan. Le frisson de l'Infini
m'enveloppe dans ses bras. Je te le demande : qui es-tu vraiment
? Ce désert de vie que les peuples envient ? Ce cimetière des
braves, au requiem trempé de ces femmes inconsolables ? Cette vallée
d'espoir pour les marins pêcheurs ? Ou bien cette mare du soir
pour les noirs pécheurs du matin ? Tu me scrutes, me dévisages du
regard, froidement. Tu ne réponds pas. Peu importe ! Tu
m'attends depuis si longtemps. Et je suis bien là. Pas d'amertume.
Notre rencontre vaut bien tous les silences du monde car la musique
assourdissante de nos vies ne résonnent qu'à leur terme.
Théodore Gudin. "Combat d'un vaisseau français et de deux galères barbaresques".
InterditE, éloignéS, porteR, irriguéE, reposéE, attirE, épuiséS, raisonnE.
RépondreSupprimerC'est un très beau texte. Un très beau rappel de ce "destructeur des appétits"...
RépondreSupprimerMerci Mouhibollah.
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